Le ministère de la culture a dévoilé jeudi 4 avril le montant des baisses de budget qui vont peser sur certaines institutions dans le cadre des annulations de crédits demandées par Bercy. Les institutions les plus prestigieuses vont y perdre plusieurs millions d’euros.
Le couperet est tombé : le ministère de la culture vient de notifier à plusieurs grands établissements nationaux les baisses de budget qu’ils vont subir en 2024, à la suite du décret d’annulation de crédits pris par Bercy. Alors que la Rue de Valois doit trouver 204,3 millions d’euros d’économies (dont 99,5 millions d’euros dans le programme patrimoine et 96 millions d’euros dans celui de la création), des institutions renommées vont être mises à contribution.
Ainsi, l’Opéra de Paris va perdre 6 millions d’euros, la Comédie-Française, 5 millions d’euros, le Musée du Louvre, 3 millions d’euros, l’Académie de France à Rome et Sèvres-Mobilier national, 1 million d’euros chacun, le Théâtre national de la Colline et le Théâtre national de Chaillot, 500 000 euros chacun. Il reste encore 11 millions d’euros à trouver, qui devraient concerner des projets, dont la nature n’est pas précisée, « reportés sur 2025 ».
Dans l’entourage de la ministre de la culture, Rachida Dati, on s’interroge toujours sur le choix de Bercy de faire porter sur la création et le patrimoine l’essentiel des efforts budgétaires. Selon nos informations, Mme Dati n’a pas été consultée sur cette ventilation. Elle cherche désormais à éviter la casse, dans un secteur, le service public du spectacle vivant, déjà malmené par l’inflation et le désengagement de certaines collectivités locales.
Une politique budgétaire « court-termiste »
Rue de Valois, on assure que les discussions ont été constantes avec les opérateurs nationaux. Ces nouvelles coupes seraient soutenables et ne devraient pas avoir de conséquences opérationnelles sur les projets en cours, l’Opéra de Paris, par exemple, ayant annoncé le 20 mars être bénéficiaire de 2,3 millions d’euros, une première depuis 2017. Avec une trésorerie moins confortable, la Comédie-Française devra sans doute réajuster son modèle économique. « Cette coupe de 5 millions ne m’a pas été confirmée par une notification officielle », s’étonne son directeur, Eric Ruf, qui dénonce une politique budgétaire « court-termiste » et une ponction de la subvention loin d’être aussi « indolore » que ne le suggère le ministère. « La norme est-elle désormais la fragilisation du théâtre ? », s’interroge l’administrateur de la Comédie-Française.
« Ce n’est pas un coup de rabot, mais un coup de serpe, estime un représentant CFDT du Français. Cinq millions d’euros, ça veut dire moins de créations, moins de levers de rideau, donc moins de public, et aussi moins de mécénat. » Quant au Louvre, il ne pourra pas se rabattre sur son fonds de roulement, totalement asséché par la pandémie de Covid-19. Le musée, qui a déjà augmenté son billet d’entrée de 30 % cette année, ne pourra pas envisager de nouvelles majorations, sous peine de susciter une fronde de ses visiteurs.
En puisant dans les budgets des établissements nationaux et en ne prenant aucun euro sur les crédits des réseaux et labels du spectacle vivant en région, Rachida Dati opère un choix tactique. A l’approche des festivals d’été et des Jeux olympiques, pas question de risquer l’annulation ou la perturbation des manifestations essaimées sur le territoire. Les scènes nationales et conventionnées, comme les centres dramatiques nationaux, échapperaient donc, pour l’instant, aux cures d’amaigrissement. Ces annonces trouvent aussi une certaine logiques dans le rééquilibrage voulu entre Paris et la province à l’heure où l’accent est mis sur l’accès à la culture en milieu rural.
« Réserves de précaution » du ministère
Pour financer les 96 millions d’euros retirés au programme « création », Rachida Dati utilise notamment « les réserves de précaution » de son ministère. Autrement dit, en grande partie, de l’argent qui, lorsque la santé des finances publiques le permet, part dans les caisses des institutions nationales, où il est attendu de pied ferme. « La réserve de précaution, explique un responsable d’établissement, ce sont les crédits que la ministre ne nous versera pas, comme elle en a absolument le droit. »
La tradition veut néanmoins que ces crédits bloqués soient dégelés au printemps, permettant ainsi aux maisons de boucler leur saison en cours et de se projeter vers celles qui suivront. Le non-dégel n’est pas chose fréquente. Au Théâtre de la Colline, sa perspective (qui aurait limité la coupe à 230 000 euros) faisait même, il y a peu, figure d’hypothèse optimiste qui aurait contraint l’établissement à procéder à des ajustements, mais pas à tailler dans le vif de sa programmation.
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