Avec quelques mesures phare comme la protection des artistes-auteurs ou la gratuité des musées, le NFP propose une nouvelle définition émancipatrice de la culture, en écho à l’esprit du Front Pop’ de 1936.
Dans le programme du Nouveau Front populaire (NFP), la culture fait son apparition au sein du chapitre consacré aux «transformations» à venir, après la «rupture des premiers jours» et «l’été des bifurcations». Surtout, elle se pare, aux côtés des plus habituels secteurs de la santé ou de l’éducation, des habits du service public. Manière d’assumer pour les architectes du NFP un tournant social de l’art, appelé de ses vœux par nombre d’acteurs culturels, qui se sont rebaptisés ces dernières années «travailleurs et travailleuses de l’art».
Parmi les mesures phares : la lutte contre les monopoles dans la presse, la pérennisation et l’indépendance de l’audiovisuel public, mais aussi l’organisation d’états généraux de la culture, un élargissement du régime de l’intermittence à tous les artistes-auteurs, ou un contrôle des tarifications des musées. Dans la terminologie du NFP cela donne : «Un service public des arts et de la culture et des médias au service de l’émancipation.» Et puisque chaque mot compte dans une profession de foi, notons au passage l’apparition du terme «émancipation», alternative à la sacro-sainte démocratisation culturelle dont on nous a si longtemps rebattu les oreilles. Avec cette notion d’émancipation, le NFP fait d’une pierre deux coups : il s’adresse aux professionnels du monde de la culture, dont il promet de défendre les droits (en tant que travailleurs de l’art, donc), autant qu’aux publics, au centre de toutes les attentions, et qu’il faut continuer de capter, d’accompagner et de servir dans leur diversité.
Si la réactualisation des enjeux est habile, le NFP s’inscrit toutefois dans une forme de continuité avec l’héritage de son inspirateur direct : le Front populaire de 1936. Il y a quatre-vingt-huit ans, la culture ne figurait pas en tant que telle dans les tablettes de la coalition emmenée par Léon Blum. Et il faudra attendre 1959 pour que soit créé un ministère de la Culture, incarné par André Malraux. Mais en réalité, durant les deux années du «Front Pop», la culture est partout, comme l’a expliqué l’historien Pascal Ory dans la Belle Illusion, culture et politique sous le signe du Front populaire, réédité aux éditions du CNRS en 2016.
Réservoir invisible mais indispensable pour façonner le tout nouveau ministère du Temps libre, piloté par Léo Lagrange – qui fit adopter la loi sans doute la plus célèbre du Front populaire : la création des congés payés –, la culture s’impose aussi dans l’imaginaire collectif comme un double de moins en moins spectral, de plus en plus fréquentable. De ce qu’on réduisait encore aux Beaux-Arts et aux Belles-Lettres, réservés à quelques-uns, alors qu’apparaît pour la première fois, dans ces années-là, l’idée même d’une vie et d’une politique culturelle qui lui seraient rattachées.
Au mitan des années 30, on expérimente aussi ce qui deviendra trente ans plus tard les fameuses maisons de la culture, agents doubles de la décentralisation et de la démocratisation, au service d’une croyance que Malraux défend mordicus : l’art doit s’adresser à tous. On ne dit pas encore toutes et tous. On ne pense pas non plus que, non content de s’adresser à tous, l’art est aussi affaire de représentation, et qu’il faudra bientôt entreprendre un travail de rééquilibrage en faveur d’artistes largement invisibilisés. Mais c’est une autre histoire.
Un changement de statut pour les artistes et les auteurs
Parmi les principales mesures du Nouveau Front populaire : la proposition d’un élargissement et d’une adaptation du système de l’intermittence pour les artistes-auteurs. Soit une corporation d’environ 270 000 personnes, si l’on se fie à l’Urssaf Limousin. Parmi eux : 100 000 auteurs (vaste catégorie incluant des écrivains, paroliers, scénaristes, etc.), 22 000 graphistes, 26 000 photographes et quelque 13 000 plasticiens qui contribuent largement, faut-il le rappeler, à l’économie française – le poids économique direct de la culture s’établissait à 2 % du PIB en 2021, selon un document officiel du ministère.
Plus politisée, cette corporation, avec l’appui d’associations comme La Buse et de nombreux syndicats, s’est organisée cette année pour défendre une proposition de loi sur la «continuité de revenus des artistes-auteurs» qui leur permettrait de bénéficier d’une rémunération même en cas d’accident de la vie. Le 14 février dernier, sur une invitation du député communiste Pierre Dharréville (battu par le RN aux législatives), leurs représentants étaient venus présenter leur idée de proposition de loi, qui a visiblement retenu l’attention du NFP – même si Aurélien Catin, membre de La Buse et auteur d’un essai intitulé Notre condition. Essai sur le salaire au travail artistique, ne sait pas exactement comment cette proposition a fini par intégrer le programme.
«[Nos] confrères les intermittents se sont mieux débrouillés que nous», expliquait ce dernier lors d’une AG préparatoire à la Bourse du travail, à Paris, en décembre 2023. «Ce qui diffère, c’est le mode de rémunération mais surtout le rapport au travail.» Car contrairement aux intermittents, la rétribution des créateurs repose aujourd’hui surtout sur le principe du droit d’auteur, et le revenu de l’artiste n’est pas issu de son travail mais de la diffusion de son produit. «L’auteur est considéré par le droit comme un rentier», et c’est ce statut de l’artiste «pratiquement inchangé depuis le XVIIIe siècle» qu’il faudrait désormais faire évoluer. Parmi les premières revendications : une couverture en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles et un accès à l’assurance chômage. Concrètement, la proposition de projet de loi prévoit une entrée dans l’assurance chômage à partir d’un revenu annuel équivalent à 300 heures de smic, soit 3 456 euros brut. «On ne peut pas laisser au marché le soin de décider qui a le droit de vivre ou d’en vivre, avait abondé le député Pierre Dharréville. Protéger les travailleurs et travailleuses de la culture est fondamental, le geste créateur, c’est un travail.»
L’extension de la gratuité à tous les musées nationaux
Autres mesures : l’extension de la gratuité dans tous les musées nationaux et la garantie d’une tarification abordable dans les institutions publiques. Le programme annonce aussi un encadrement «des tarifs abusifs des lieux privés», ce qui paraît bien audacieux et peu réaliste, au vu des moyens de pression qui pourraient s’exercer sur ces fondations privées, qui n’ont eu de cesse de se développer cette dernière décennie en France. Du côté des établissements publics, depuis le 4 avril 2009, les jeunes de moins de 26 ans bénéficient de la gratuité des collections permanentes de tous les musées nationaux. A l’issue d’une expérimentation de la gratuité des nocturnes, menée en 2008 au musée du Louvre, au musée d’Orsay, au Centre Pompidou et au musée du Quai-Branly, plusieurs effets avaient pu être observés sur la mobilisation des jeunes, venus en plus grand nombre et de cercles moins familiers, selon le ministère de la Culture.
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