
Depuis des années, les baisses de subventions menacent ce service public essentiel pour l’animation de la vie dans les territoires.
Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle peuvent jouer les collectivités locales ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.
Un samedi soir, à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, la porte d’un pavillon reste entrouverte le temps des arrivées échelonnées d’une vingtaine de personnes. Dans le salon, une scène improvisée : le spectacle Avec les pieds, une fable d’anticipation conçue par Nicole Genovese et Jeanne Desoubeaux, va bientôt commencer. Cette représentation à domicile est organisée par la Poudrerie, un théâtre dédié à la création participative. Implanté à Sevran mais dépourvu de lieu propre, il «fait théâtre de tous lieux», explique sa directrice, Valérie Suner. Chaque année, environ 120 représentations investissent des centres sociaux, des lieux associatifs, mais aussi, donc, des appartements et des maisons de Sevran et des communes voisines.
«85 % de la population ne va pas au théâtre, ce qui pose une question démocratique, d’autant que le secteur est subventionné, poursuit Valérie Suner. Alors on s’est dit que lorsque les gens ne venaient pas au théâtre, c’était peut-être le théâtre qui devait aller chez eux.» Pour elle, il y a là une façon de créer une multitude de lieux de culture et donc autant de portes d’entrée vers le théâtre, le débat et l’échange. Des agoras dont on manque cruellement. «Aujourd’hui, les clivages sont ultra-violents. A la Poudrerie, modestement, on essaie de recréer du dialogue dans nos territoires, en partant de là où on peut agir, du local donc.»
«A un point de rupture»
Mais pour agir en son lieu, encore faut-il en avoir les moyens. «Notre action n’est pas rentable économiquement, elle se situe sur le temps long», rappelle la directrice, qui ne cache pas son inquiétude face aux nouvelles coupes budgétaires subies par le secteur. Le constat est unanime, et rassemble bien au-delà des situations les plus alarmantes, comme celle des Pays-de-la-Loire, dont la tête de l’exécutif régional (LR) a sabré avec fierté le budget culturel, ou de l’Hérault, dont le conseil départemental (PS) s’est délesté, sous couvert de caisses vides, de sa compétence culturelle, hors contributions obligatoires. En Ile-de-France, la région a annoncé une baisse de 20 %. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les subventions aux structures de spectacle vivant supérieures à 80 000 euros diminuent de 10 %, les autres de 5 %, détaille Marie Didier, directrice du Festival de Marseille et élue syndicale du conseil national du Syndeac. Ces nouvelles coupes sont moins drastiques qu’ailleurs, mais elles interviennent dans un secteur ultra-fragilisé, qui a déjà fourni «tous les efforts nécessaires, et au-delà».
Car le phénomène d’érosion budgétaire ne date pas des derniers coups de rabot de 2025, ni même de 2024. Depuis plusieurs années, voire des décennies, les acteurs culturels se voient contraints de serrer toujours plus leurs dépenses, de «faire des économies de bouts de chandelles» pour parer aux baisses de financements publics, à l’inflation, à la crise sanitaire… «Nous sommes désormais à un point de rupture», alerte Marie Didier. Des lieux réduisent leur programmation, en proposant moins de dates, des spectacles moins chers, avec moins d’interprètes, moins de décors, moins d’actions de médiation ; des directeurs de lieux prestigieux jettent l’éponge, face à l’impossibilité de mener à bien leurs missions (Wajdi Mouawad au Théâtre national de la Colline, Jean Bellorini au Théâtre national populaire, Galin Stoev au Théâtre de la cité de Toulouse…) ; des prestataires et des compagnies voient leurs...
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