Les 3 milliards d’euros injectés pour sauver la culture lors de la crise liée au Covid-19 n’ont pas été l’occasion de réformer un secteur marqué notamment par une offre surabondante. Au point que le monde du spectacle, déjà mal en point avant la pandémie, se retrouve dans une situation pire depuis, déplore Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », dans sa chronique.
Pendant la crise liée au Covid-19, les musées, théâtres, cinémas ou salles de concerts ont tenu grâce à l’argent public. L’ardoise s’élève à 3,1 milliards d’euros. Et que vient-on d’apprendre ? L’Etat a sauvé la culture sans vraiment évaluer les besoins ni jauger les résultats. Il a piloté à vue, provoquant quelques beaux gâchis, et continue de naviguer dans le brouillard.
Le constat, développé par la Cour des comptes dans un rapport publié en mars, est d’autant plus douloureux que l’Etat cherche 10 milliards d’euros d’économies et vient de « piquer » 200 millions d’euros à la culture. On imagine que, pour des raisons émotionnelles et politiques, il fallait aller très vite, sauver sans regarder de près. Mais on a frisé le n’importe quoi, au point que « les contrôles visant à récupérer des indus auprès de certains bénéficiaires d’aides demeurent marginaux ».
Prenons les 30 millions d’euros visant à financer 264 œuvres de plasticiens. La liste est longue des reproches adressés par la Rue Cambon envers une commande baptisée « Mondes nouveaux » mais qui ressemble à l’ancien : des artistes choisis par des experts coupés des relais locaux, des populations et des désirs de terrain ; beaucoup d’argent attribué à des agences chargées de faire des études ; la rémunération des auteurs qui n’atteint pas 20 % de la manne ; des œuvres appartenant à ces derniers, alors que l’Etat financeur n’a rien ; une opération qui a négligé le public – pas d’exposition.
Le fiasco est tel que la Cour des comptes demande une évaluation précise d’une opération jugée opaque avant d’engager 30 nouveaux millions. Elle ajoute que, si l’argent culturel du Covid-19 a été mal géré, la faute en incombe à l’Etat, qui a court-circuité le ministère de la culture au profit d’opérateurs comme la Caisse des dépôts ou la banque publique d’investissement Bpifrance.
Pas d’autocritique
L’essentiel des griefs est à venir. L’argent ne devait pas servir seulement à sauver le secteur culturel, mais à le moderniser en profondeur : estimer ce qui marche ou pas, définir des priorités. Il ne s’est rien passé, ou presque, déplorent les magistrats. Pire, de l’argent a été investi dans des programmes en dépit du bon sens. L’Etat n’a pas fait la différence entre un théâtre qui allait mal à cause de la crise liée au Covid-19 et un autre, déjà malade auparavant en raison de dysfonctionnements profonds. Des lieux se sont retrouvés avec plus d’argent que le ministère ne leur en donnait en temps normal.
Le résultat ? L’argent du Covid-19 a fait grossir l’offre culturelle. C’est effarant, car aujourd’hui, alors que la pandémie semble loin, le monde du spectacle, déjà mal en point auparavant, se retrouve dans une situation pire. Des théâtres et des opéras n’ont plus l’argent nécessaire pour produire une saison pleine ; ils suppriment une pièce ou une chorégraphie, écartent de jeunes artistes au profit de noms qui font remplir la salle.
La situation est dramatique, mais que le discours ambiant n’aille pas au-delà de l’indignation envers l’Etat-providence, qu’il n’y ait pas une once de recul ou d’autocritique laisse pantois. Le budget du ministère de la culture est en légère augmentation depuis des années. La ponction toute fraîche de 204 millions d’euros va concerner très peu la création, et beaucoup les grosses institutions et le patrimoine (les pierres meurtries ne s’indignent pas).
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