Les dysfonctionnements du site Internet de l’Urssaf, qui remplace l’Agessa et la Maison des artistes, sont unanimement critiqués par les usagers. Seuls 125 000 d’entre eux ont réussi a ouvrir un compte, selon l’Urssaf Limousin
En vigueur depuis le 1er janvier 2020, le rattachement au régime général de l’Urssaf devait, en théorie, faciliter les choses pour 265 000 auteurs affiliés en 2019 à l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) et pour 62 000 plasticiens, illustrateurs, vidéastes et autres photographes adhérents de La Maison des artistes (MDA). Il n’en est rien, plus d’un an après cette transition confuse et désordonnée.
La direction de la Sécurité sociale souhaitait, avec cette réforme, « garantir le recouvrement effectif de cotisations qui n’avaient pas été collectées antérieurement », l’Agessa ne l’ayant pas fait systématiquement pendant quarante ans, jusqu’en 2016, en arguant d’un manque d’investissement dans un système informatique fiable. Cet état de fait a lésé des dizaines de milliers d’auteurs qui, non informés, ont perdu des droits à la retraite, comme le soulignait le rapport Racine en janvier 2020.
Problèmes graves de calculs
Pourtant, ce passage à l’Urssaf Limousin, spécifiquement chargée de leurs dossiers, s’avère cauchemardesque pour les artistes-auteurs. « C’est un calvaire », assure Marie-Anne Ferry-Fall, directrice générale de l’ADAGP, qui gère les droits des artistes graphiques et des plasticiens. Dans une enquête réalisée début février 2020 par La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse auprès de 942 membres, le constat est sans appel : 90 % ont rencontré « une ou plusieurs difficultés » avec l’Urssaf.
Pour la majorité, l’accès à l’espace personnel du site s’est avéré compliqué, voire impossible. La moitié se plaint de difficultés à joindre l’Urssaf, presque autant (46 %) se heurte à des problèmes d’enregistrement de la déclaration annuelle de revenus artistiques, quand celle-ci, préremplie, n’est pas incomplète ou fausse. Les documents qui doivent être transmis par les employeurs ne sont pas disponibles (pour 48 %). « Ce passage à l’Urssaf s’effectue dans la douleur », résume La Charte.
Une deuxième enquête du Conseil permanent des écrivains (CPE) conclut aussi à l’urgence « d’améliorer la qualité de l’interface Urssaf-auteurs », seuls 19 % des sondés n’ayant pas eu de problèmes pour déclarer leurs revenus. Pour sa part, la Société des gens de lettres (SGDL) a envoyé à la double tutelle de l’Urssaf Limousin (les ministères de la santé et de la culture) la très longue liste des dysfonctionnements. Ce qui inclut des erreurs d’attribution de numéros de Siret, d’activation de comptes et génère des problèmes kafkaïens pour les auteurs en pluriactivité.
Sans compter une litanie de difficultés de déclaration en ligne des revenus, de problèmes graves de calculs ou de paiements des cotisations, des lacunes de communication de l’Urssaf… Et même des menaces d’amende fiscale de 150 euros, pouvant être portée à 1 500 euros, en l’absence de déclaration de cotisation foncière des entreprises, alors que les auteurs en sont exonérés… Patrice Locmant, directeur général de la SGDL, dénonce aussi « des milliers d’auteurs dans la nature » − non inscrits − et critique sévèrement « les bras cassés qu’on leur a attribués comme interlocuteurs, comme un signe évident de problèmes de formation à l’Urssaf ».
Selon Jean-Yves Auffret, directeur régional de l’Urssaf Limousin, les trente agents des centres de Guéret (Creuse) et Tulle (Corrèze) qui répondent au téléphone sont des intérimaires qui ont reçu huit jours de formation. En incluant l’encadrement, l’équipe compte 70 personnes, dit-il, aucune n’ayant travaillé à l’Agessa ou la MDA.
Katerine Louineau, du Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP), déplore l’incapacité de l’Urssaf à « faire juste un site qui fonctionne ». Samantha Bailly, présidente de la Ligue des auteurs professionnels, confirme : « C’est du bricolage, les difficultés techniques entraînent des bugs dans nos cotisations, c’est très grave. » Mme Louineau critique aussi le fait « qu’à l’Urssaf Limousin les intérimaires ne connaissent pas notre régime et apportent des réponses contradictoires ». Elle déplore que « certains de ses confrères plasticiens n’arrivent même pas avec le nouveau site à obtenir un justificatif de paiement de droits ». Et ajoute : « C’est une réelle galère pour obtenir des indemnités d’arrêt maladie ou de congés maternité. On a intérêt à être en pleine forme… »
« Colère légitime »
L’absence d’interlocuteur agace. Cédric Bastelica, nommé pour assurer pendant quelques mois la transition, n’est plus là. Et le comité de suivi qui réunissait les représentants des tutelles et les professionnels ne s’est pas réuni depuis octobre 2020. Le ministère de la santé n’a pas désigné de nouvel interlocuteur dans ce dossier. « Nous sommes les permanents de l’oubli », assure Mme Louineau, qui souligne également le problème de gouvernance du régime de sécurité sociale des artistes-auteurs, non contrôlé par des représentants de ses bénéficiaires.
Jean-Yves Auffret ne cache pas « de grosses difficultés informatiques » qui entraînent des « réactions de colère légitimes ». Selon lui, « 125 000 artistes-auteurs ont réussi à ouvrir leur compte », sur les 250 000 qu’il a répertoriés, sans être sûr d’avoir« récupéré tout le monde ». Il montre une réelle « volonté d’amélioration », affirme avoir créé une boîte mail destinée aux organisations professionnelles pour faire remonter les cas les plus urgents, comme les délivrances d’attestation de droits pour ceux qui souhaitent répondre à des marchés publics. Le patron de l’Urssaf Limousin compte aussi réactiver les réunions trimestrielles de suivi du dossier et rouvrir des bureaux d’accueil à Paris.
Au ministère des...
Lire la suite sur lemonde.fr