La présidentielle 2022 n’aura pas fait exception : la culture est restée absente de la campagne. Serait-ce une frilosité des candidats devant un domaine réputé être une « affaire de spécialistes », comme le dit le politologue et spécialiste des politiques culturelles (CNRS, université de Montpellier) Emmanuel Négrier ? Ce dernier livre son analyse sur cette absence récurrente de la culture dans les campagnes électorales.
La présidentielle 2022 n’aura pas fait exception : la culture est restée absente de la campagne. C’est à peine si certains candidats prononcent furtivement le mot « culture » au sujet des vecteurs d’émancipation sociale. Sinon, pas de propos construits dans les débats entre candidats. Rien non plus dans les interviews données aux médias généralistes et grand public. Dans les documents programmatiques, le traitement de la culture s’avère très variable : de quelques lignes à un chapitre entier. Mais, hormis une ou deux promesses précises, parfois chiffrées, ici et là, les candidats restent sur des généralités.
Les aiguillons ne font pourtant pas défaut : associations et organisations professionnelles les ont interpellés tour à tour à coups de lettres ouvertes et de tribunes. Sans toujours obtenir de réponses précises… quand réponse il y a eu. De leur côté, les élus locaux, par la voix de la Fédération nationale des collectivités pour la culture, ont signé un « Manifeste pour une République culturelle décentralisée », n’évoquant pas moins de trente chantiers à (r)ouvrir, dans une logique de « coconstruction » entre l’Etat et les collectivités. Mais les candidats n’ont pas saisi l’occasion pour parler de l’articulation entre les interventions de l’Etat et celles des collectivités. L’absence de la culture dans les campagnes électorales serait-elle une fatalité ?
Comme à chaque élection présidentielle, élus, organisations et associations professionnelles de la culture ont interpellé les candidats, sans parvenir à faire rentrer cette thématique dans la campagne. Comment expliquer cette impuissance ?
A chaque fois, les acteurs de tous les secteurs tentent de tirer parti de ce moment de vaste éclairage sur l’action publique pour porter leurs préoccupations. Pourquoi les acteurs culturels échapperaient-ils à ce besoin de lumière ? Dans le cas précis des élus chargés de la Culture, on voit bien que la Fédération nationale des collectivités pour la culture se trouve dans une situation paradoxale : sa raison d’être est de porter un projet culturel transpartisan. Ce qui est on ne peut plus contradictoire avec une campagne présidentielle, où chaque candidat s’acharne à se distinguer des autres. Ce n’est pas une raison, bien sûr, pour ne pas faire entendre cette voix.
La campagne de 2022 n’a sans doute jamais autant soulevé d’enjeux culturels, notamment du côté de l’extrême droite, avec des thèmes comme la définition de l’identité française et ses racines. En ce sens, l’absence de la culture dans le débat relève d’un paradoxe. D’autant plus que des thèmes comme ceux-là ne sont pas sans impact sur les politiques culturelles – par exemple sur la mise en œuvre des droits culturels. Or les acteurs de la culture n’offrent pas de contre-discours efficace. Cela dit, le fait que les candidats ne se positionnent pas sur les politiques culturelles n’est guère nouveau. Au plus, ils prennent position sur des généralités ou exposent une ou deux mesures techniques.
Dans les débats, les candidats pourraient tout de même faire valoir des promesses en matière de culture…
Les milieux culturels s’attachent à sanctuariser leur domaine, pour en faire une affaire de spécialistes qu’eux seuls maîtrisent. Pour un candidat, afficher une stratégie forte présente un risque : une bronca chez ceux dont on n’aura pas parlé, car les milieux culturels réagissent vite et fort. Les politiques savent qu’ils auront plus à craindre s’ils manifestent des positions volontaristes que s’ils en restent aux pétitions de principe. Et quand ils avancent une mesure technique, ils s’adressent à ses principaux bénéficiaires, espérant leur soutien. La révision du décret « son » (1), réclamée par les professionnels du spectacle vivant et les élus, est l’exemple type.
Les candidats ont toujours intérêt à annoncer un dispositif ou une mesure chiffrée : il y a une sorte d’effet magique qui fait que les critiques n’entament pas le potentiel mobilisateur des effets positifs escomptés.
Le sujet de la coconstruction Etat-collectivités, omniprésent dans les prises de parole des élus, n’est-il pas un serpent de mer ?
Dans l’idéal, la coconstruction permet à des acteurs poursuivant le même objectif de faire un bout de chemin ensemble. Dans la réalité, il s’agit de s’entendre à un moment donné sur un projet, pour des raisons qui peuvent être différentes. Cette coconstruction est toujours passée au tamis d’intérêts politiques et de désaccords sur la qualité artistique, sur l’intérêt qu’il y a à soutenir tel projet.
Vouloir passer à une théorie, en décidant que tous les échelons de pouvoir vont s’entendre sur des conventions d’objectifs, après une discussion sur ce que doit être un projet culturel, serait vain : il y aura toujours des divergences sur ce qu’est un bon projet culturel et des élections à l’occasion desquelles les élus voudront se démarquer. Ce qu’ils ne pourraient pas faire si la responsabilité était toujours collective. La coconstruction se vit donc dans la pratique, tous les jours, sur des projets limités dans le temps et portant des intérêts divergents.
La grande amplitude du champ culturel (patrimoine, lecture publique, spectacle vivant, etc.) contribue-t-elle à son absence dans les campagnes électorales ?
Je ne le crois pas. La politique culturelle a plus de poids symbolique et politique que l’addition des intérêts des différents secteurs. En revanche, il y a effectivement une difficulté à exprimer un projet politique global et explicite sur ce secteur. L’autre hypothèse, plutôt pessimiste, serait que...
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