En dépit du coup d’arrêt donné au secteur culturel, les partenaires des institutions artistiques françaises continuent de répondre présent.
Tous les tickets étaient déjà vendus depuis mai 2020. Crise sanitaire oblige, le gala d’ouverture de l’Opéra national de Paris, rendez-vous prestigieux qui devait se tenir le 22 septembre au Palais Garnier, à Paris, s’est finalement déroulé le 27 janvier sur… la plate-forme vidéo de l’institution. Les 1 200 spectateurs de cette soirée spéciale de levée de fonds, dont les billets se vendent de 80 euros à 5 000 euros, ont donc pu assister à la représentation, filmée à huis clos, depuis leur… canapé.
Ce phénomène a été rendu possible grâce au soutien de Chanel et de Rolex, mécènes piliers pour le ballet et l’opéra. Un million d’euros – la même somme qu’en 2019 – a été collecté. « Une minorité de spectateurs a demandé le remboursement de ses places, précise Jean-Yves Kaced, directeur du développement et du mécénat à l’Opéra national de Paris. Ce maintien du gala est une manifestation remarquable de soutien à la maison dans ce contexte sanitaire. » Une bonne nouvelle pour l’institution, qui traverse une crise économique complexe. Son budget mécénat, en progression de 141 % entre 2010 et 2020, et qui permet d’assurer près de la moitié des coûts de production, a néanmoins chuté en 2020 de 18 millions à 13 millions d’euros en raison de la fermeture des salles. « Mais aucun mécène ne nous a quittés », insiste Jean-Yves Kaced.
Ce constat d’un poids lourd du paysage culturel souligne la tendance à l’œuvre depuis le début de la pandémie : le mécénat dans le spectacle vivant se maintient vaille que vaille. « Hors de question de lâcher, s’exclame Jean-Jacques Goron, directeur général de la Fondation BNP Paribas. Notre rôle est de rester près des artistes et des institutions. Nous avons même entamé des relations avec de nouveaux partenaires, comme Le Plus Petit Cirque du monde, à Bagneux [lieu culturel des Hauts-de-Seine]. » A l’été 2020, la Fondation BNP Paribas, qui accompagne l’Opéra national de Paris, le festival Jazzdor Strasbourg-Berlin, mais aussi le compositeur Ablaye Cissoko ou la chorégraphe Kaori Ito, a mis en place un plan de soutien exceptionnel de 310 000 euros à destination de trente et un artistes, chorégraphes, circassiens, musiciens.
Situation fragilisée
La situation n’en est pas moins fragilisée. Selon l’étude Covid-19 publiée en juin 2020 par l’Admical, association historique réunissant 200 mécènes, les entreprises ont continué à se mobiliser, mais d’abord auprès des populations vulnérables et pour le soutien scolaire… Du côté de la culture, le spectacle vivant vient en quatrième position après les musées, la musique et les arts visuels.
« Il y a, depuis la crise de 2008-2010, une urgence sociétale à laquelle les entrepreneurs répondent en priorité, commente François Debiesse, président de l’Admical. La moitié des 3 milliards et demi d’euros de mécénat d’entreprise va sur le secteur social et de l’éducation. Le culturel n’en obtient toujours qu’un quart. Et, dans une période comme celle que nous traversons, c’est vraiment dommage. Je ne suis pas trop inquiet, pour le moment, pour la situation des théâtres et des artistes, mais je pense qu’elle va s’aggraver d’ici à 2022. »
Selon l’envergure des salles, leur statut et leur étiquette artistique, le mécénat prend des visages variés. A Chaillot-Théâtre national de la danse, à Paris, les mécènes – qui, pour la plupart, s’engagent sur trois ans à hauteur, en général, de 100 000 euros par saison – soutiennent des spectacles – cinq en moyenne – et des actions d’éducation artistique et culturelle.
Entre les fondations, comme BNP Paribas, et le fonds de dotation du Manège de Chaillot, regroupant, entre autres, Groupama, Orange, Amundi et Tilder, la somme annuelle tournait, en 2019, autour de 800 000 euros. Elle a baissé de moitié en 2020. « Le mécénat nous permet, en temps normal, de conforter une prise de risque artistique, explique Réda Soufi, administrateur général de l’institution. Compte tenu de la fermeture pendant dix mois de nos salles, nos mécènes ont réduit leurs cotisations car il n’y avait pas de productions à aider. » Cette diminution correspond à celle des activités artistiques qui, elles aussi, ont été coupées en deux, passant de 6,8 millions à 3,2 millions d’euros. « Le mécénat nous a tout de même permis d’amortir la crise sanitaire », ajoute Réda Soufi.
Construire des projets singuliers
La fonte financière est aussi estimée à 50 % au Parc de La Villette, passant de 3 millions à 1,5 million d’euros. L’établissement public pluridisciplinaire et inclassable, doté d’espaces multiples, en intérieur comme en extérieur, génère un mécénat extrêmement varié (Cisco, Fondation Orange, Arte…) pour des opérations spécifiques. Klorane a ainsi pris en charge la création d’un jardin botanique ; la Fondation Adrienne et Pierre Sommer finance une ferme pédagogique… « On a effectivement perdu près de la moitié de nos mécènes en 2020 à cause des annulations, comme celle du festival Villette sonique, souligne Didier Fusillier, président du Parc et de la Grande Halle de La Villette. En revanche, on a eu la surprise que Van Cleef & Arpels débloque des fonds à la dernière minute pour le rendez-vous en plein air de Plaine d’artistes, l’été dernier. »
Au-delà du soutien financier, une évolution est en cours : « Il y a très souvent le souhait d’être en prise directe avec les enjeux sociétaux, de participer à l’émergence de nouvelles idées, indique Karima Alaoui, responsable du pôle mécénat à La Villette. Et c’est en cela que le mécénat se révèle riche et créateur. »
Ce dialogue entre les salles et les entreprises – qui peuvent déduire de leurs impôts 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5 % de leur chiffre d’affaires annuel – pour construire en commun des projets singuliers est de plus en plus présent. « Le mécénat est d’abord une histoire de rencontre et de relation », glisse Catherine Blondeau, directrice du Grand T, à Nantes. Depuis 2014, elle développe un Club entreprises réunissant une quinzaine de PME locales, comme Cetih (fabricant de portes et de fenêtres), Coteaux nantais (distributeur de fruits et légumes) ou l’imprimeur VALPG.L’adhésion de base est de 1 500 euros par an, mais certains mécènes contribuent parfois à hauteur de 15 000 euros.
« La particularité de ces PME est ...
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