La vie culturelle a survécu tant bien que mal à la pandémie grâce aux 14 milliards d’euros d’aide publique. Cette avalanche de crédits n’a cependant pas suffi à rompre la défiance qui règne entre le président de la République et le monde de la culture.
« Tout sera mis en œuvre pour protéger (…), quoi qu’il en coûte », avait promis Emmanuel Macron lors de sa première allocution télévisée solennelle consacrée au Covid-19. C’était le 12 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 gagnait peu à peu le monde et personne n’imaginait l’ampleur de la crise à laquelle chaque pays serait confronté dans les mois suivants, obligeant les uns et les autres à se confiner à plusieurs reprises et à mettre à l’arrêt tout ou partie de leur économie.
Vingt mois après la promesse du chef de l’Etat, c’est peu dire que le domaine de la culture a bénéficié du « quoi qu’il en coûte » présidentiel. Selon le ministère de la culture, quelque 14 milliards d’euros ont été débloqués par l’Etat entre le printemps 2020 et l’automne 2021 pour soutenir le milieu culturel en France. C’est près de quatre fois le budget annuel de la Rue de Valois, d’un montant de 3,8 milliards d’euros en 2021. L’équivalent d’un plan Marshall à l’échelle du secteur.
Selon le décompte établi en décembre 2021 par le ministère, 3,9 milliards d’euros ont été versés directement aux entreprises de la culture au titre de la pandémie : 2,7 milliards via le fonds de solidarité et 1,2 milliard pour financer les mesures de chômage partiel. De plus, 747 millions d’euros d’exonérations de cotisations sociales ont été accordés, ainsi que 4,2 milliards de prêts garantis par l’Etat.
A ces sommes, il convient d’ajouter 2 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance, censés être investis en 2021 et 2022, et 1,7 milliard d’aides sectorielles spécifiques, notamment pour soutenir la filière du cinéma.
Aucune fermeture
L’année blanche accordée au printemps 2020 aux intermittents du spectacle, qui leur permettait de toucher les allocations-chômage jusqu’en août 2021 sans avoir à justifier d’heures de travail, a par ailleurs été prolongée jusqu’à la fin de l’année, afin de tenir compte de la difficile reprise d’activité dans certains secteurs. « Cela représente une aide de 2 milliards d’euros au total », confie l’entourage de Roselyne Bachelot, la ministre de la culture. Cette prolongation de quatre mois avait été obtenue après une forte mobilisation des intermittents, qui ont notamment occupé le Théâtre de l’Odéon durant plus de deux mois, au printemps 2021.
Alors que le secteur anticipait un désastre social au début de la crise sanitaire, cette avalanche de crédits a maintenu la tête hors de l’eau quasiment la totalité des entreprises culturelles. De fait, aucun cinéma, théâtre, salle de concert, ou musée n’a fermé depuis le début de la pandémie, au contraire de chez nos voisins européens. Mieux, les librairies ont connu en 2021 une activité record après avoir dû baisser le rideau lors des deux premiers confinements, au point que nombre d’entre elles génèrent aujourd’hui un chiffre d’affaires supérieur à celui d’avant la pandémie.
Malgré ces efforts d’une ampleur inédite, les relations entre Emmanuel Macron et le monde de la culture ont été marquées par la défiance tout au long de l’année 2021. « Je pense qu’on n’a jamais eu un gouvernement aussi peu intéressé par la culture », a déclaré le réalisateur Cédric Klapisch dans le magazine Elle, en avril.
Emmanuel Macron « aime certaines musiques, certains livres, mais c’est tout. Il n’y a aucune ambition derrière. La culture (…) n’est soutenue par aucune vision », a ajouté le dessinateur Jul dans L’Obs en septembre. « Le président n’a pas sauvé la culture, il a fermé la culture », confie au Monde Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques.
L’espoir après le néant
Ingratitude ? Plutôt le signe d’un malaise persistant à l’égard d’un président qui ne cesse de proclamer son amour pour la culture. Lors de son élection en 2017, Emmanuel Macron avait éveillé l’intérêt des artistes. Imaginez, un homme politique qui cite René Char ou André Gide ! « Après Sarkozy et Hollande, dont la politique culturelle frisait le néant, les artistes se sont dit : enfin quelqu’un qui nous aime ! Cela a suscité une attente », concède le producteur de théâtre Jean-Marc Dumontet, réputé proche du chef de l’Etat. La nomination de Françoise Nyssen Rue de Valois avait également été perçue comme un signe, eu égard à son parcours d’éditrice.
Mais s’ils reconnaissent l’effort budgétaire, les professionnels se disent déçus par la considération que leur porte M. Macron depuis le début de son mandat. « La question artistique et culturelle n’est pas que financière. Le pouvoir doit dire que la culture est au centre de la vie, et il ne le fait pas », regrette Nicolas Dubourg, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. « Emmanuel Macron n’a évidemment pas abandonné la culture, ce serait exagéré de dire ça. Mais sa politique manque de lisibilité et d’incarnation », juge Pascal Rogard. En clair, la culture reconnaît les preuves d’amour, mais dit manquer d’amour.
Conscient de cette incompréhension, Emmanuel Macron a multiplié en 2021 les gestes à l’égard de la culture. « Si est essentiel ce qui m’aide à être moi ou à vivre, l’art l’est à coup sûr », a ainsi lancé le président de la République lors d’un déplacement à Nevers, le 21 mai. Une référence explicite à la polémique qui avait agité les milieux culturels à l’automne 2020, lorsque les librairies avaient été considérées comme « non essentielles » par le gouvernement. Un décret paru en février 2021 a finalement ajouté les librairies à la liste des commerces autorisés à rester ouverts en cas de nouveau confinement.
La Cour des comptes s’inquiète
A la rentrée, le chef de l’Etat a aussi multiplié les déplacements liés à la culture. Il a successivement visité la maison de Jean Giono à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence) et celle où séjournait Marcel Proust enfant, à Illiers-Combray (Eure-et-Loir), décoré la veuve du poète René Char à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), dévoilé la verrière du jardin d’hiver de l’Elysée décorée par Daniel Buren, inauguré l’Arc de triomphe emballé par Christo… « La culture, le président y pense et en parle tous les jours. Il échange avec des artistes toutes les semaines, il les emmène en voyage officiel à l’étranger. Tout le monde sait que le président est un homme de culture », rassure-t-on à l’Elysée.
Par ailleurs, l’exécutif assure qu’il continuera de soutenir les professionnels du secteur tant que la situation ne sera pas redevenue normale. Déjà, 600 millions d’euros ont été prévus pour la culture dans le cadre du plan France 2030, qui doit être déployé dans les cinq ans à venir.
De même, les grands établissements gérés par l’Etat, comme le Musée du Louvre, l’Opéra de Paris, la Comédie-Française ou le château de Versailles, resteront sous perfusion. Déjà, le gouvernement leur a octroyé à l’automne une rallonge de 234 millions d’euros dans le cadre...
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