Alors que la thématique a été écrasée par celle sur la sécurité ou le pouvoir d’achat, les propositions des principaux candidats divergent peu.
Ce n’est pas encore la déprime, mais cela commence à y ressembler. Mobilisés depuis plusieurs mois pour élaborer le programme culturel des candidats à l’élection présidentielle, nombre d’élus et de hauts fonctionnaires déchantent, à l’approche du premier tour. « Vous avez entendu une proposition s’imposer dans la campagne ? Aucune », constate un membre de La République en marche (LRM). « La culture devrait inciter les gens à voter pour tel ou tel candidat. Mais je ne suis pas certaine que ce sera le cas », concède Florence Portelli, conseillère régionale (Les Républicains) d’Ile-de-France et membre de l’équipe de Valérie Pécresse.
Ecrasée par les enjeux de sécurité et de pouvoir d’achat, sur fond de guerre en Ukraine et d’épidémie due au Covid-19, la culture n’a, de fait, pas existé dans la campagne. Le seul sujet qui a timidement émergé est celui de la suppression de la redevance audiovisuelle. Et encore, il a été abordé principalement sous l’angle économique, plusieurs candidats, à l’image de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron, mettant en avant le gain de 138 euros (88 euros en outre-mer) qu’entraînerait sa disparition. Pour le reste, rien ou presque n’a passé le mur du son.
Elus « spécialistes »
Qui sait, par exemple, que Yannick Jadot veut créer un « plan national des pratiques artistiques en amateur », que Jean-Luc Mélenchon propose d’« abroger les niches fiscales sur le mécénat culturel », que Valérie Pécresse promet d’« intégrer un volet culturel à tous les contrats de plan Etat-régions », ou qu’Eric Zemmour entend « consacrer une partie des subventions accordées par le Centre national du cinéma aux productions cinématographiques qui valorisent la culture française » ?
Les événements de campagne ou les meetings des candidats ont connu, eux aussi, un désert culturel. Un temps, l’entourage de M. Macron a envisagé un déplacement dévolu à la culture avant le premier tour. Le château de Villers-Cotterêts (Aisne), où un chantier de 185 millions d’euros a été lancé en 2020 pour transformer les lieux en « cité internationale de la langue française », avait été suggéré. Las, c’est finalement la ministre de la culture Roselyne Bachelot qui s’est rendue sur place, le 16 mars. Seule une poignée de prétendants a réservé une réunion publique au secteur, comme Valérie Pécresse au théâtre parisien La Bruyère, le 21 mars.
Les équipes des candidats n’ont pourtant pas chômé. Comme à chaque scrutin présidentiel, des groupes de travail ont été constitués très tôt avec des élus « spécialistes ». Dans l’équipe d’Anne Hidalgo, la sénatrice (PS) Sylvie Robert et le maire (PS) de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi se sont mobilisés. Yannick Jadot s’est, lui, appuyé sur Frédéric Hocquard, adjoint (Génération. s) à la Mairie de Paris, sur la sénatrice (Europe Ecologie-Les Verts) Mélanie Vogel et les écologistes Dimitri Boutleux et Anne Mistler, respectivement adjoints à la culture aux mairies de Bordeaux et de Strasbourg, tandis que Fabien Roussel a eu recours à Alain Hayot, ancien vice-président (Parti communiste) de la région PACA. Chez Les Républicains, ce sont trois femmes, Florence Portelli et les sénatrices Laure Darcos et Catherine Morin-Desailly, qui ont officié.
Pour élaborer les propositions, de nombreuses personnalités de la société civile ont aussi été sollicitées. Mais souvent dans l’ombre. Qu’elles soient responsables de lieux subventionnés ou d’entreprises culturelles, elles « refusent que leur nom soit rendu public », confie Frédéric Hocquard. « Des producteurs, des conservateurs de musée, mais aussi des personnes issues du ministère de la culture ont participé à nos travaux, assure le banquier Jonathan Nadler, coordonnateur du programme d’Eric Zemmour. Mais dans une grande discrétion, car ils savent que les milieux culturels sont très hostiles à sa candidature. »
Absence de débat
Côté experts, le haut fonctionnaire Noël Corbin s’est remis au service d’Emmanuel Macron, après avoir déjà officié lors de la campagne de 2017, dans une équipe alors emmenée par Marc Schwartz, aujourd’hui directeur de la Monnaie de Paris. A droite, c’est une autre haut fonctionnaire, Muriel Genthon, qui a piloté les groupes de travail pour Valérie Pécresse. A Reconquête !, Hervé Chateauneuf travaille depuis six mois en tant qu’« expert » au programme culture (hors patrimoine) du candidat d’extrême droite. Juriste de formation, il a fait tout son parcours dans la communication – groupe Hersant, Canal Numedia, délégué général de la Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia – et a connu Eric Zemmour au Figaro. L’entourage de Marine Le Pen, lui, n’a pas souhaité donner de détails.
Si les responsabilités et les organigrammes étaient à peu près établis parmi les équipes de candidats, Emmanuel Macron s’est une nouvelle fois distingué en laissant prospérer les initiatives autour de lui, méthode darwinienne qu’il affectionne. Outre le groupe de « technos » de Noël Corbin, le producteur de théâtre Jean-Marc Dumontet a beaucoup pesé dans la campagne, s’attribuant le titre de « référent culture » du candidat. « J’ai rencontré de 60 à 80 professionnels depuis décembre pour nourrir le programme », affirme-t-il. Plusieurs élus LRM, comme les députées Aurore Bergé et Céline Calvez, ont aussi envoyé des notes à l’Elysée.
Côté programmes – et cela explique peut-être l’absence de débat autour de la culture –, les propositions ont peu divergé, malgré le très large champ politique couvert par les 12 candidats. D’un parti à l’autre, les conseillers ont tous mis en avant l’éducation artistique et culturelle (EAC), considérée comme le moyen indispensable pour remettre la culture au cœur d’un projet de société. L’idée de faire entrer la culture dans les établissements scolaires pour en démocratiser son accès n’est pas nouvelle, Jack Lang la défendait déjà. Mais elle peine, depuis, à être réellement appliquée.
« L’EAC ne doit pas se résumer à une sortie par an, mais être intégrée dans une nouvelle organisation du temps scolaire », plaide ainsi Frédéric Hocquard pour Yannick Jadot. « L’EAC est le fer de lance de notre ambition et doit être développée tout au long de la vie », abonde le dramaturge Martin Mendiharat, qui a corédigé un livret de 20 pages sur la culture pour Jean-Luc Mélenchon. « Il faut transformer le Pass culture en véritable outil de l’EAC », avance Sylvie Robert (Anne Hidalgo). « Il faut amplifier l’EAC, car tout commence à l’école », ajoute Aurore Bergé (Emmanuel Macron). Même Eric Zemmour – dont l’essentiel du programme culturel est axé sur le patrimoine – propose d’« obliger toutes les institutions culturelles subventionnées à faire des tournées régulières dans les établissements scolaires publics ».
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