Lancé il y a cinq ans, le dispositif «artiste intervenant en milieu scolaire», qui implique élèves, artistes et enseignants, remporte tous les suffrages. Retour sur une formule innovante.
Des drapeaux pour un pays imaginaire dont l’inventivité n’a rien à envier à celle d’un designer graphique, une sonate de Mozart d’abord «mise en corps» qui se révèle être le plus sûr moyen de développer la qualité d’écoute des élèves : Aglaë Miguel, diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, et Guillaume Hermen, diplômé du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, ne sont pas prêts d’oublier leur résidence d’artiste intervenant en milieu scolaire (AIMS) à Saint-Ouen – la première à l’école Paul Langevin, le second à l’école Anatole France.
Mais le duo gagnant des résidences du programme Artistes intervenant en milieu scolaire (AIMS) – un dispositif innovant d’éducation artistique et culturelle porté par cinq prestigieuses écoles de l’enseignement supérieur culture qui remporte, cinq ans après son lancement, tous les suffrages – c’est avant tout, bien sûr, celui que forme l’artiste et l’élève.
Du côté des élèves, il n’est qu’à se reporter à l’étude d’impact de la formation réalisée par l’agence Phare avec le soutien des Fondations Edmond de Rothschild en 2020 : «les ateliers, [qui] sont un temps de respiration par rapport au temps de l’école, développent chez l’élève une envie de création, nourrissent un récit, et transforment leur regard sur les arts». Les élèves les plus en difficulté sur le plan scolaire sont d’ailleurs souvent ceux qui s’y épanouissent le plus.
Du côté des artistes, ceux-ci, une année durant, entre pédagogie, transmission et modèle d’inspiration, développent de nouvelles compétences au contact des enfants. Autour de ce duo, tous les acteurs du programme sont aussi gagnants.
Une formation riche de la diversité de ses acteurs
Place donc aux différents acteurs, à commencer par l’artiste, qui interviennent tout au long du programme. Benoît Faucher, tuteur AIMS pour le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, en résume les étapes : «Avant le début de la résidence, les artistes suivent une formation initiale, puis une fois l’année commencée, la résidence est encadrée par un tuteur et jalonnée de temps forts d’échanges entre les artistes des différentes écoles. Enfin, des restitutions sont organisées dans tous les établissements scolaires».
En participant à ce programme, Marie Rosselet-Ruiz, artiste AIMS de la Fémis, qui a grandi en ZEP en Seine Saint-Denis, voulait «redonner et transmettre». Elle n’oublie pas «l’émerveillement» des élèves lorsqu’elle leur a fait découvrir le bruitage lors d’une visite de la Fémis qui a été décisive – «les séances suivantes, cela a tout changé» – et confie aujourd’hui son impression d’un «aller-retour» : «Il y a quelque chose de neuf chez les enfants qui m’apporte beaucoup».
«Je lui laissais les rênes», dit Nasséra Zerkak, professeure des écoles à l’école Lili Boulanger à Saint-Denis à propos de l’artiste accueilli en résidence. «Je constatais que les élèves étaient toujours contents de suivre l’atelier et désespérés d’en sortir. J’ai aussi noté la bienveillance et l’envie de l’artiste de toujours découvrir quelque chose d’intéressant dans les propositions des enfants. Ceux-ci sont sortis avec un bagage qu’ils n’auraient pas eu autrement».
Même tonalité dans le corps enseignant. Arrivant d’un lycée avant de prendre ses fonctions en tant que principal du collège Cesaria Evora à Montreuil, David Réal savait ce que les ateliers apportaient «en termes d’estime de soi». «Généralement, les artistes arrivent avec une idée précise de ce qu’ils veulent faire ; au contact des élèves, cette idée évolue. C’est cela qui fait l’intérêt du programme», poursuit-il, avant de conclure : «On sent que quelque chose se passe dans l’établissement. Cela culmine au moment de la restitution. Tout le monde – parents, enseignants – peut voir le travail qui a été fait. Pour l’artiste aussi, c’est une transformation, c’est un juste retour des choses».
«Qu’il s’agisse de l’artiste, de l’enfant-élève, de l’enseignant, sans oublier les parents à travers la médiation, il faut que chacun se sente bien dans sa place», assure Pascal Mény, conseiller pédagogique en art plastique à la direction des services départementaux de l’éducation nationale de la Seine Saint-Denis. «Parfois, les enseignants ne se sentent pas suffisamment légitimes. Du fait de la co-construction avec l’artiste, ils peuvent peu à peu s’emparer de la création artistique».
Comment la présence des artistes à l’école peut-elle rayonner durablement sur les territoires ?
Après avoir rappelé le rôle important que joue la Fondation Culture & Diversité aux côtés notamment du ministère de la Culture en matière d’égalité des chances – et s’agissant des écoles, du travail qui est fait pour casser leur image élitiste – Nathalie Coste-Cerdan, la directrice de la Fémis pose la question de la «pérennité» du programme sur le territoire.
Jean-Jacques Paysant, délégué académique aux arts et à la culture de l’académie de Créteil, se souvient : le déménagement des ateliers de sculpture des Beaux-Arts de Paris sur le territoire de Saint-Ouen est à l’origine du programme AIMS tel qu’on le connaît aujourd’hui, «l’idée est très vite venue d’organiser des résidences d’artistes». Avec un impératif : «une forte exigence en termes de qualification des artistes intervenants». La vertu du programme est de «partir du réel et de proposer un mode d’organisation horizontal. La formule a fait ses preuves : d’une initiative de la seule école des Beaux- Arts de Paris, on est arrivé aujourd’hui à un programme national».
Le maillage étroit avec les territoires est également une des raisons qui explique le succès du programme. «Les artistes vont souvent à la rencontre des associations de quartier. Un réseau se créée autour de ces résidences. Les enfants n’ont jamais autant le sentiment d’appartenir à un territoire qu’au moment de l’exposition qui réunit les travaux des différentes classes», indique Aurélie Lesous, chargée de mission éveil et éducation artistiques et culturels, enfance et famille, à la délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle du ministère de la Culture.
Dans une ville comme Cergy, qui réunit des habitants de 142 nationalités différentes, «la politique culturelle prend tout son sens», souligne Christophe Bennet, le directeur de la culture et du patrimoine de la commune. «Le principe de résidence incarne une sorte de trait d’union entre l’éducation artistique et culturelle et les droits culturels. C’est une relation gagnant-gagnant pour le public touché et l’artiste sur un territoire qui n’est pas forcément le sien». S’agissant des droits culturels, Aurélie Lesous insiste sur une idée-force du programme, l’action en direction des parents : «le programme est une façon de leur dire qu’eux aussi sont passeurs de culture».
Grâce au pass Culture et à ADAGE, l’application qui lui est dédiée, c’est l’éducation artistique et culturelle dans son ensemble, indépendamment du seul programme AIMS, qui est promise à l’avenir à se développer sur ces territoires, s’enthousiasment Jean-Jacques Paysant et Christophe Bennet.
Points de vue des institutions culturelles et des artistes
«Qu’est-ce que la rencontre avec l’artiste fait à l’élève ?» : en conclusion du séminaire, Emmanuel Tibloux, directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, replace cette question centrale au cœur de la discussion. «Elle intervient dans les angles morts du système éducatif, répond-il, dans la vie des formes, l’attention au sensible, au silence, au son, aux formes visuels, aux cultures matérielles – cette approche est fondamentale dans un monde marqué par les enjeux environnementaux –, à la pratique. Elle donne une véritable expérience de l’art : l’élève rencontre un artiste et peut alors ...
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