La ministre de la Culture a ouvert la porte à une réouverture prochaine des premiers, mais pas des seconds, pour des motifs sanitaires. Ce choix s'explique-t-il ?
LA QUESTION. D'aucuns y ont vu une lueur au bout du tunnel pour le monde de la culture. Invitée lundi matin sur BFM TV, Roselyne Bachelot a assuré qu'une réouverture des musées et des monuments pouvait être «possible» dans les prochaines semaines. «Il faut que le nombre de contaminations et la pression sur le système hospitalier soient dans un mouvement de décrue. Ça peut arriver assez vite», a expliqué la ministre de la Culture. En revanche, «nous n'en sommes pas là pour les cinémas et les salles de spectacle», a regretté Roselyne Bachelot. Pourquoi cette distinction ? Que dit la recherche ou le retour d'expérience sur le risque de contagion dans ces différents lieux culturels, fermés en France depuis plus de 100 jours pour tenter d'endiguer l'épidémie de Covid ?
VÉRIFIONS. Les connaissances sur la contagiosité du Sars-CoV-2 ont beaucoup progressé depuis l'apparition du virus il y a un peu plus d'un an. En France et à travers le monde, diverses mesures ont été appliquées, interrompues ou ajustées pour restreindre sa circulation, et l'on s'attend logiquement à pouvoir en tirer des conclusions. Mais pour cela, encore faut-il que l'expérience ait été suivie de façon rigoureuse afin d'en tirer des informations exploitables scientifiquement. Or, les espaces culturels en tant que source de contamination n'ont pas été directement étudiés ni comparés à ce jour, à la différence d'autres lieux comme les écoles, les entreprises ou le foyer familial.
«Les tentatives de gradation fine du risque infectieux selon les activités et contextes d'interactions sont rares», pointe l'épidémiologiste Mircea Sofonea (Université de Montpellier), spécialisé dans la modélisation des maladies infectieuses. Il retient notamment le travail de la Texas Medical Association, une société savante importante aux États-Unis. Selon cette évaluation d'une quarantaine de situations, visiter un musée présente un score de risque de 4/9, mais se rendre au cinéma grimpe jusqu'à 8/9, et ce même en partant du principe que le public respecte les gestes barrières adéquats comme le port du masque ou la distanciation sociale avec les inconnus. Pour établir cette hiérarchie, les médecins ont pris en compte plusieurs critères : activité d'intérieur ou d'extérieur, densité humaine, probabilité que les gens respectent les consignes sanitaires, temps potentiel d'exposition… Mais l'estimation demeure qualitative et ne rend pas compte des disparités du risque pour un même contexte.
À défaut d'études épidémiologiques quantitatives reposant sur des données de terrain, l'évaluation du risque ne peut, pour le moment, s'appuyer que sur le « bon sens virologique », poursuit Mircea Sofonea. Parce que le Sars-CoV-2 est un virus respiratoire, sa transmission est favorisée dans les lieux confinés et mal aérés, lorsque les gens se tiennent assez près les uns des autres de façon prolongée, et plus encore s'ils ne portent pas de masque, mangent ou parlent fort.
Sur ce plan, les musées présentent un avantage sur les théâtres et cinémas. Les visiteurs y circulent à travers plusieurs salles et passent rarement beaucoup de temps auprès d'une même personne, tandis qu'au cinéma et au théâtre, la séance est plus longue, avec une forte proximité statique entre spectateurs. « Le niveau de risque n'est toutefois pas figé, il peut être modulé par le protocole sanitaire, souligne Mircea Sofonea. Dans un musée, si l'on empêche les rassemblements et qu'on impose un sens de circulation univoque, le contact potentiel avec une personne positive restera très transitoire. C'est très comparable à ce qui se passe dans un supermarché sauf qu'on peut, en plus, orienter le flux des visiteurs. »
«Dans ce contexte, le risque de contamination dans un musée apparaît faible, même s'il n'est pas nul», abonde Pascal Crépey, épidémiologiste à l'École des hautes études en santé publique à Rennes, qui utilise la même analogie avec les grandes surfaces alimentaires. Dans ces dernières, le risque peut même sembler supérieur puisque la densité de fréquentation est plus élevée et le sens de circulation ne peut être imposé. « Mais l'impératif d'ouverture n'est évidemment pas la même, les gens ayant toujours besoin de se ravitailler pour vivre », rappelle-t-il. Dans ce cas comme pour les musées, « c'est au pouvoir politique et à la société de décider ce qui en vaut la peine. Sur le plan scientifique, rouvrir les musées ne paraît pas comporter une énorme prise de risque, mais cela représente tout de même un risque supplémentaire », poursuit Pascal Crépey.
Une marge de progression
Le chercheur met aussi en garde contre les limites de la généralisation. « Il est possible que le risque soit très hétérogène d'un musée à un autre, ou d'un cinéma à un autre, selon les équipements des lieux et leur fréquentation », souligne Pascal Crépey. L'efficacité de...
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