Depuis mai, l’application a séduit 782 000 jeunes de 18 ans, qui ont plebiscité les livres et surtout les mangas. Deux millions de nouveaux inscrits pourront en bénéficier à partir de 2022.
Kevin Lecathelinais, gérant de la librairie BD Flash à Rambouillet (Yvelines), ne cache pas son enthousiasme : « Grâce au Pass culture, mes ventes de mangas ont augmenté de 30 % depuis juin et le phénomène ne faiblit pas. One Piece, Demon Slayer, Naruto, L’Attaque des Titans, les jeunes prennent souvent des séries complètes de blockbusters, ils se font plaisir ! »
Cinq mois après la généralisation du Pass culture, annoncée le 20 mai par le président de la République, les librairies – et en particulier les rayons de bandes dessinées japonaises – sont, pour l’heure, les grandes gagnantes de ce nouveau dispositif, qui offre à tous les jeunes âgés de 18 ans une enveloppe de 300 euros, à dépenser en activités et biens culturels de leur choix.
A la date du 18 octobre, ils sont 782 000 à avoir ouvert un compte sur cette application géolocalisée. « C’est un très bon chiffre, il correspond à un taux de pénétration de 80 % », se félicite-t-on à l’Elysée, où le Pass culture, promesse électorale du candidat Macron, est considéré comme « le chantier culturel prioritaire du quinquennat ».
Que consomment les 18 ans ? Parmi les réservations, les écarts demeurent considérables : 78 % concernent les livres (dont 60 % des mangas), 6,9 % la musique (abonnement Deezer, concerts, CD, etc.), 5 % le cinéma, 5 % l’audiovisuel (abonnement Canal+, OCS, etc.), 2 % les pratiques artistiques (cours de dessin, de danse ou achat d’instrument), 1 % le spectacle vivant. « Le prix d’un manga n’a rien à voir avec celui d’une guitare. Le livre représente 50 % du montant des dépenses et les pratiques artistiques 16 % », précise Sébastien Cavalier, nouveau président de la société par actions simplifiée (SAS) Pass culture, auparavant directeur de l’action culturelle de la ville de Marseille.
Succès des bandes dessinées
Face à la ruée sur les bandes dessinées japonaises, on souligne dans l’entourage du chef de l’Etat que « le manga n’est pas un phénomène lié au Pass, mais un phénomène de société ». Le recours à Amazon n’étant pas autorisé, les jeunes qui réservent un livre doivent le retirer en magasin. « Sur place, les libraires peuvent aussi les amener vers d’autres horizons. D’ailleurs, 49 % des jeunes ayant choisi un manga ont aussi acheté un autre type de livre », insiste Noël Corbin, délégué général à la transmission, aux territoires et à la démocratie culturelle au ministère de la culture. Derrière One Piece, du mangaka Eiichiro Oda, largement en tête des ventes, les 18 ans plébiscitent Burn After Writing, de la Britannique Sharon Jones, la série Harry Potter, de J. K. Rowling, ou encore Sapiens, une brève histoire de l’humanité, de Yuval Noah Harari. Côté cinéma, Fast & Furious 9, Dune et BAC Nord forment le top 3 des réservations.
En faisant le pari de développer une politique de la demande, le Pass culture a réussi à capter quantitativement les jeunes. Ce n’est pas étonnant. Qui refuserait de disposer de 300 euros à 18 ans ? Mais le plus difficile reste à faire : élargir leur horizon culturel, les amener à diversifier leurs pratiques, raison d’être de la création de ce Pass. « Le plus compliqué est de rester clair sur l’objectif de politique publique de parcours culturel sans tomber dans le quantitatif », reconnaît Noël Corbin. « Ce dispositif massif produit un effet d’aubaine vers des offres que les jeunes connaissent déjà », déplore le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui regroupe 400 institutions (en majorité des scènes nationales et des centres dramatiques subventionnés), réticent depuis le départ à ce Pass, jugé « consumériste ».
Alors, comment s’y prendre ? « On ne va pas se plaindre du succès des bandes dessinées, mais on veut qu’il y ait autre chose, que ça vive. Un effort nécessaire est à mener sur le spectacle vivant et le patrimoine. On ne souhaite pas que le Pass soit porteur d’affaires pour des offreurs numériques », résume Noël Corbin.
De la salle de spectacle au cours de danse, du musée aux jeux vidéo, le Pass culture compte actuellement 11 000 offreurs, mais « tous ne sont pas actifs, constate Sébastien Cavalier. Il faut aller au-delà du simple catalogue mis en ligne et faire événement, traiter le jeune comme le membre d’un club en lui proposant des expériences sur mesure ». Le président de la SAS cite en exemple une visite des coulisses d’un théâtre ou d’un opéra, la possibilité d’assister à des répétitions, ou la sollicitation d’artistes (comme Gilles Lellouche dernièrement) pour des recommandations culturelles… « Ce sont toutes ces gouttes d’eau qui feront un jour une rivière », espère-t-on à l’Elysée.
En attendant, Sébastien Cavalier doit prendre son bâton de pèlerin pour inciter les offreurs à « éditorialiser » leurs prescriptions et pour convaincre tout le réseau des lieux culturels subventionnés (centres dramatiques nationaux, scènes nationales, etc.) à être actif sur le Pass. « Il n’y a pas assez d’inscrits parmi les institutions financées par le ministère de la culture », pointe-t-on à l’Elysée. « Il faut arrimer durablement le Pass à nos politiques culturelles, en travaillant au maximum les contenus et en allant chercher tous les jeunes, insiste Noël Corbin. Nous devons expliquer aux offreurs que ce dispositif est un outil, pas une menace. Il n’est pas question que le Pass se substitue aux actions de médiation culturelle déjà menées. »
« Education artistique »
Comparé à la proposition du candidat Macron, « le projet Pass culture a changé », reconnaît-on à l’Elysée. La logique financière a été inversée. Initialement, ce « GPS de la culture » devait être « cofinancé par les distributeurs et les grandes plates-formes numériques » à hauteur de 80 %. Désormais, il sera pris en charge par l’Etat. Pour 2022, un budget de 246 millions d’euros (contre 59 millions en 2021) est prévu au projet de loi de finances, dont 199 millions au titre du ministère de la culture et 46 millions pour le ministère de l’éducation nationale. Car, à partir de janvier 2022, le Pass fera son entrée dans les collèges et les lycées, ce qui représente plus de deux millions de nouveaux inscrits.
« Nous assumons en 2021 et 2022 un fort engagement pour le déploiement du Pass culture dans sa nouvelle formule, qui permettra une meilleure articulation avec la politique d’éducation artistique », fait valoir l’entourage du président de la République. L’enveloppe de 500 euros prévue au départ du projet se décompose désormais en deux parties : 300 euros pour les jeunes de 18 ans et 200 euros répartis entre la classe de quatrième et la terminale. Les collégiens bénéficieront d’une dotation annuelle de 25 euros réservés à des sorties culturelles collectives, et les lycéens auront chaque année 50 euros à utiliser, de façon mixte, entre projets scolaires et usage personnel.
« L’expérimentation du Pass culture a montré la nécessité de familiariser les jeunes plus tôt à cet outil et, pour certains, 500 euros à 18 ans, c’était beaucoup, presque trop », souligne Noël Corbin. « Autant de millions si vite pour un projet aussi mal ficelé et qui va profiter essentiellement à des opérateurs privés, c’est du jamais-vu », se désole-t-on à la direction du Syndeac.
Après les longs mois de fermeture des lieux culturels pour cause de Covid-19, le Pass pourrait aussi être un moyen d’accompagner la reprise, veulent croire ses responsables. « Tous les leviers pour reconquérir et renouveler le public sont bons à prendre, le Pass culture tombe plutôt bien et il peut être un outil de communication et de séduction », estime Sylvain Briand, directeur de la scène de musiques actuelles Le Silex, à Auxerre (Yonne). Grâce à des stands d’information à propos de son lieu, placés dans les lycées et les campus universitaires, les premiers effets commencent à se faire sentir : « Nous constatons une hausse des abonnements sur cette classe d’âge, de près de 10 % par rapport à 2020. Et la fréquentation des studios d’enregistrement repart. » Sylvain Briand ne cache pas que le Pass culture influe sur la programmation 2022 : « Nous nous tournons davantage vers la jeunesse, en mettant plus de hip-hop et de cultures urbaines. »
Opéra, théâtre et ciné-concert
A l’Opéra de Paris, 1 400 places gratuites pour Œdipe et L’Elixir d’amour ont été proposées en cette rentrée aux détenteurs du Pass. « Tout est parti en quelques heures, se félicite le directeur général adjoint, Martin Ajdari. Et pour 57 % des jeunes, il s’agissait de leur première réservation pour un spectacle grâce au Pass. » Pour autant, « il faut éviter un feu de paille sans lendemain, poursuit-il. Nous n’excluons pas de renouveler l’opération, mais sans donner l’habitude de la gratuité ». Rappelant que l’Opéra n’a pas ...
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