Au Royaume-Uni, les acteurs de la culture qui tournent à l’étranger, craignent de devoir acquérir des visas hors de prix pour voyager au sein de l’UE. De quoi en pousser certains, déjà exsangues à cause du Covid, à changer de métier.
Théâtre, danse, cinéma, télévision, publicité… Outre-Manche, le monde de la culture est à genoux depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Et alors que l’horizon s’éclaircit enfin – le Premier ministre a annoncé un plan de déconfinement lundi –, les artistes britanniques subissent de plein fouet les conséquences du Brexit. Ce dernier «va tuer la culture musicale en Angleterre», se désole Oliver Brignall, chanteur et compositeur de musique classique britannique. Le jeune père de 34 ans, aux courts cheveux blonds, est l’une des nombreuses victimes de la sortie du Royaume-Uni du marché commun le 1er janvier. Et notamment de l’arrêt de la libre circulation. Après une année dévastatrice à cause du Covid, beaucoup d’artistes britanniques ont été découragés par le Brexit. En cause notamment, la nécessité d’un visa pour jouer ou tourner en Europe, dont le prix atteint parfois les 600 livres (698 euros). «Le mois dernier, je me suis rendu compte que ce ne serait pas possible de continuer comme je le faisais avant. Je ne suis pas assez connu. Alors fini les rêves, maintenant je vais me trouver un travail plus sûr», raconte celui qui vit de sa musique depuis quinze ans. Le chanteur, qui réside à Brighton, ville balnéaire au sud de Londres, souhaite démarrer une nouvelle carrière en tant que professeur de musique. «Je sens que j’ai toujours besoin de me battre pour ma passion, et je le ferai en formant la nouvelle génération», ajoute-t-il.
«La demande au Royaume-Uni est saturée»
Dans l’entourage d’Oliver Brignall, la plupart des «musiciens ordinaires», comme il les qualifie, ont rendu leurs instruments. Et ce même si la France a exempté les artistes britanniques d’un visa de travail dans la limite de quatre-vingt-dix jours. D’autres pays, comme l’Espagne et l’Italie, imposent de nouveaux visas dont les prix sont respectivement de 500 et 600 livres, comme ont pu s’en rendre compte des artistes ayant eu l’opportunité de travailler récemment dans ces pays. Un coût astronomique pour ceux qui ne sont pas en tête d’affiche. «Beaucoup de freelances travaillent à l’étranger parce que la demande au Royaume-Uni est saturée. Maintenant, avec le visa, cette option n’est même plus rentable. C’est pour ça que tant de personnes songent à arrêter. C’est trop triste», relate Oliver Brignall.
Une tendance que confirme Paul W. Fleming, secrétaire général du syndicat Equity, qui représente 47 000 artistes au Royaume-Uni. Selon lui, 48 % de ses adhérents envisagent de jeter l’éponge. «Les plus concernés sont les acteurs qui voyagent seulement quelques jours pour tourner une pub ou qui occupent des places de figurants dans des films», explique Paul W. Fleming. Des artistes auraient carrément perdu leur emploi, selon Deborah Annetts, directrice générale de l’Incorporated Society of Musicians. «J’ai reçu énormément de témoignages de musiciens qui ont ou allaient perdre leur travail en Europe à la suite de l’accord post-Brexit», a-t-elle déclaré la semaine dernière. Les petites mains ne sont pas les seules touchées. La semaine dernière, le Théâtre national, à Londres, a lui aussi suspendu ses projets de tournées en Europe à cause des incertitudes quant à l’obtention de visas.
«Moins polémique et politique que la pêche»
Le 16 février, le syndicat Equity a publié une lettre ouverte dans le quotidien The Guardian, demandant au gouvernement britannique de supprimer les visas pour les artistes travaillant sur le continent européen. Parmi des centaines de signataires, de grands noms se sont joints à l’appel, comme les acteurs Ian McKellen, Julie Walters et Patrick Stewart. «Avant, nous pouvions voyager en Europe sans visa. Maintenant, nous devons payer des centaines de livres, remplir formulaire après formulaire et passer des semaines à attendre l’approbation», déplorent les signataires. «Les tournées en Europe ne sont actuellement pas possibles en raison du Covid-19 et l’UE n’a pas établi de calendrier de reprise, a répondu le lendemain un porte-parole du gouvernement dans le Times, semblant temporiser et postuler de futurs accords-cadres moins contraignants. Nous travaillons avec les artistes britanniques afin de garantir qu’ils puissent travailler en Europe une fois que les tournées auront recommencé.»
Pourtant, deux jours avant, Downing Street a admis avoir rejeté une proposition de l’UE qui autoriserait les artistes à exercer sur le sol européen sans visa, car cela «contredirait les nouvelles règles concernant la libre circulation». Malgré tout,...
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