Ces dernières années, les témoignages d’agressions sexuelles et sexistes survenues au festival de metal se multiplient. Les organisateurs de l’événement assurent s’occuper du problème et ont lancé un nouveau dispositif de prévention pour cette 17e édition, qui se déroule jusqu’au dimanche 30 juin. Un énième coup de communication, estiment plusieurs femmes du staff.
Welcome to Infernopolis : la 17e édition du Hellfest a commencé jeudi 27 juin, à guichets fermés. A Clisson, en Loire-Atlantique, le plus grand festival de metal d’Europe va accueillir jusqu’à dimanche près de 250 000 personnes venues du monde entier. Une ville sortie de terre pendant quatre jours. Avec, de façon inéluctable, son lot proportionnel d’incivilités, de délits, voire de crimes. Malgré les discours d’une partie des metalleux qui veulent encore croire à une bulle de pure bienveillance, ce festival n’est pas épargné par les témoignages de violences sexistes et sexuelles (VSS), qui se multiplient depuis plusieurs années.
Après une décennie de déni, le Hellfest affirme être enfin à la hauteur du problème : ce 21 juin sur les réseaux sociaux, l’organisation a annoncé un nouveau dispositif de prévention et d’écoute, le «HellCare». Un pôle de 150 personnes, avec des équipes de patrouilles et trois stands de permanences sur les 111 hectares du site. Mais aussi une nouvelle application mobile «de signalement géolocalisée» et un numéro de téléphone dédié. Prise de conscience ou poudre aux yeux ?
Malgré les bonnes intentions de certains responsables, Libération révèle une accumulation de graves manquements en interne qui entament, voire discréditent la sincérité affichée par les organisateurs du festival. La direction aurait couvert les agissements sexistes de responsables, et laissé sans réponse des témoignages de violences sexuelles en interne.
«Questions culpabilisantes»
Le Hellcare est vendu comme la version «renforcée» de la HellWatch, la brigade de prévention des VSS mise en place en 2022 pour arpenter le site, avec l’objectif de dissuader les agresseurs et d’épauler d’éventuelles victimes. Muscler le dispositif était indispensable, vu les remontées des deux éditions précédentes. Sur le forum officiel du Hellfest, au moment de faire le bilan, des commentaires félicitent l’initiative mais déplorent son manque d’efficacité, quand ce n’est pas sa relative inutilité. Les membres sont considérés comme «trop jeunes», «inexpérimentés», voire peu dévoués à leur mission. «A chaque fois que je les ai croisés, ils étaient en train de bouffer, picoler, danser ou se fendre la gueule entre eux», affirme ainsi un festivalier. Leur fonctionnement en maraudes est aussi jugé inadapté : «Je ne les ai croisés qu’une fois», sur deux parfois trois jours, rapportent plusieurs Hellbangers, surnom des fans de l’événement. «Des filles de 18-20 ans qui se baladent en groupes. […] Si quelqu’un veut commettre un méfait, il lui suffit d’attendre que le troupeau soit passé !» écrit un autre.
Des problématiques liées à leur petit nombre : même si les effectifs ont été doublés en 2023, ils n’étaient toujours qu’une soixantaine de bénévoles pour 60 000 festivaliers par jour, un ratio d’1 pour 1000. Déjà peu visible la journée, la HellWatch n’était surtout plus présente sur le site après 20 heures, alors que les concerts se terminent tard et que la zone du camping est particulièrement à risque la nuit. Une information «bien communiquée» en amont par le Hellfest, regrettent certains, avec une impression de quartier libre au coucher du soleil. Quant à l’application Safer, mise en avant pour signaler les comportements inappropriés, elle aurait été inutilisable à cause du réseau saturé.
«Questions culpabilisantes»
Un dispositif déjà léger sur la forme mais qui pêche aussi, selon plusieurs témoignages, sur le fond. Si quelques voix assurent avoir bien été prises en charge, et malgré «une journée de formation avec le Planning familial» vantée par le festival, la HellWatch n’a pas toujours semblé en mesure de proposer une aide psychologique adéquate aux victimes. Plusieurs femmes du staff assurent à Libération avoir assisté à des comportements inadaptés des membres de la brigade : «J’ai amené auprès de l’un d’eux une jeune femme en pleurs après s’être fait violemment alpaguer par des mecs, et il n’a eu que des questions culpabilisantes. Pourquoi t’es toute seule ? Pourquoi tu te déplaces sans tes potes ? se souvient Pauline (1), bénévole au camping. Elle s’est enfuie encore plus mal.»
Deux de ses collègues assurent que les secouristes qui prennent le relais la nuit ne seraient pas plus sensibilisés sur ces questions. Julie, salariée dans la même équipe, a ainsi passé des heures au poste de secours auprès d’une festivalière victime de violences conjugales : «Sans moi, ils lui auraient juste donné un Doliprane, alors qu’elle avait très peur. J’ai dû me débrouiller pour lui trouver un endroit où dormir, pendant que mon chef me disait que ce n’était pas notre problème.» Si tout le personnel du HellWatch s’est vu proposer une formation en ligne de deux heures sur les enjeux des violences faites aux femmes, elle reste facultative. Ce manager avait de toute évidence fait l’impasse.
C’est la principale raison qui a poussé l’association les Catherinettes, spécialisée dans la prévention des violences sexistes et sexuelles en milieu festif, à rompre le partenariat engagé avec le Hellfest juste avant l’édition 2022, après un an de discussions compliquées. «C’était notre première recommandation : former toutes les équipes. Ils ont refusé, ils ne voyaient pas la nécessité, explique à Libération Agathe Petit-Dupas, la présidente. Le manque de sérieux de leur protocole n’est pas étonnant, ils l’ont créé à leur sauce au lieu de s’en remettre à des organismes professionnels et spécialisés.» L’initiative n’est pas, selon elle, une volonté de s’améliorer mais un simple coup de communication.
Elle y voit un passage obligé pour faire taire les critiques après leur réaction catastrophique lors de la médiatisation de l’appel à témoins d’une festivalière pour retrouver son violeur sur l’édition précédente, soit avant le Covid, en 2019. Le témoignage de la jeune femme, accueilli par autant de soutiens que d’accusateurs sur les réseaux, avait été décrédibilisé par le Hellfest, qui affirmait n’avoir trouvé ni pass à son nom, ni des images susceptibles de pouvoir correspondre à la description des faits. Un communiqué resté en travers de la gorge de nombre d’associations féministes, alors que l’édition 2018 avait été émaillée de témoignages d’attouchements dans le public, et qu’un homme avait été condamné à un an de prison ferme pour l’agression sexuelle d’une festivalière en état d’ivresse en 2017.
Les interrogations sur le purplewashing «opportuniste» de la HellWatch sont d’autant plus légitimes que des groupes problématiques, dont les membres sont visés par des accusations de violences sexuelles ou conjugales, n’ont pas cessé d’être à l’affiche. Sans oublier les propos récurrents du fondateur Ben Barbaud. S’il n’est plus, au niveau administratif, le directeur du Hellfest depuis sa condamnation en 2023 – sur plaider-coupable – pour abus de confiance après avoir détourné 300 000 euros, il gère toujours les équipes et son nom reste indissociable du festival, qu’il incarne. Interrogé l’année dernière sur la programmation dans cette ère post-MeToo, il déclarait par exemple : «Je n’ai pas vu, moi, personnellement, tel ou tel artiste frapper son épouse, donc je m’arrête à ça», et rappelait n’avoir jamais «vendu un festival engagé».
«Cette interview de Ben n’a pas été correctement retranscrite, elle ne reflète en aucun cas sa position sur le sujet. Cependant, nous maintenons que notre but est d’organiser un festival culturel majeur en France et nous ne sommes pas là pour faire le travail de la justice», défend Eric Perrin, chargé de communication du Hellfest. «S’ils veulent soutenir des artistes problématiques cela les regarde, mais il ne faut pas induire les gens en erreur, c’est une posture dangereuse de prétexter être un lieu sûr pour les femmes», estime Balance Ta Scène, collectif militant créé dans la foulée du mouvement #MusicToo pour recueillir la parole des victimes dans le milieu musical.
«Cela n’avait rien d’une palpation de sécurité»
Les équipes travaillent d’arrache-pied pour rattraper les écarts du visage emblématique du festival – nous n’avons ainsi pas pu obtenir d’interview – et pour convaincre de leur volonté d’adresser le problème. «Nous prenons ces sujets très au sérieux, et c’est pourquoi le HellCare est à ce jour le dispositif avec la plus grande équipe pour la prévention des risques par n’importe quel festival», argue Eric Perrin. Trois permanences réparties sur le festival, actives durant les heures d’ouverture correspondant à chaque zone : espace concert, HellCity et camping, dont le stand sera disponible 24 heures sur 24. Sur l’équipe de 150 personnes, 95 seront «des professionnelles de prévention, d’éducation et de santé», avec «des psychologues, infirmiers, médecins, éducateurs spécialisés, policiers…»
Il cite aussi 24 membres de l’association Stop à la violence 44 et 85, et 12 personnes «Lâche la pression», pour lesquelles il précise «égalité et lutte contre les discriminations, place de la femme». En réalité, l’association créée il y a cinq mois n’a pour l’heure qu’un compte Instagram qui invite les festivalières à utiliser leur service d’urinoir féminin pour «changer votre expérience douloureuse de la longue file des toilettes». Interrogé en détail sur la formation de prise en charge des victimes de VSS dispensée aux bénévoles du Hellcare, le festival donne une réponse minimaliste : «Les profils et formations sont divers, mais ils ont justement tous été recrutés pour répondre aux enjeux de ce nouveau projet.» La question «Les équipes de sécurité et de secours sont-elles également formées ou sensibilisées, et comment ?» a tout simplement été ignorée.
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