En milieu rural, elles sont souvent les seuls endroits où les pratiques artistiques et sportives restent accessibles. Les maisons des jeunes et de la culture, vecteurs de partage, déploient à nouveau leur pouvoir émancipateur. Comme ici, en Lorraine.
« Ici, on laisse de côté toutes les questions d’actualité. La politique, la religion, tout ça, on n’en parle pas. Les gens ont besoin de réconfort, ils ne viennent pas pour se cliver mais pour se lier », assure d’emblée Leïla. Chaque mardi soir, cette coach sportive dispense des cours dans la petite salle des fêtes de Lucey. La nuit d’hiver est tombée depuis un moment mais ce village lorrain de quelque six cents âmes, situé à une trentaine de kilomètres de Nancy, au milieu des coteaux viticoles, conserve son cœur battant malgré l’obscurité. Il est là, au pied de l’église : c’est sa MJC. « La maison des jeunes et de la culture est le dernier endroit où se rencontrer depuis que, ces trente dernières années, les deux bouchers, les quatre bistrots, le boulanger et l’épicier ont fermé », témoigne Hélène Simonin-Dangien, 53 ans, l’ex-présidente bénévole de cette MJC fondée par son père cinquante-sept ans plus tôt, et qui vient de passer le relais à son frère cadet. Tous deux s’y rendront eux-mêmes un peu plus tard dans la soirée pour y répéter avec les Barjoviaux, leur troupe de théâtre de cabaret qui connaît ici un joli succès. Hélène en atteste : à Lucey, c’est bien la MJC qui permet aux gens de « rester vivants ». En organisant un club de lecture parents-enfants, des cours de hip-hop, des séances de self-défense, « ou tout ce qu’ils pourraient souhaiter ». Sans oublier, le 6 décembre, le défilé annuel de la Saint-Nicolas, une institution régionale, très prisée des enfants, que même les fêtes de Noël n’ont jamais égalée.
Cette MJC « des champs » – située en milieu rural, comme 75 % des « maisons » que compte la Région Lorraine – est le fruit de quatre-vingt-dix ans d’histoire et d’éducation populaire. C’est en 1944, dans l’immédiat après-guerre, à l’heure de la reconstruction, qu’est fondée à Lyon la République des jeunes, un mouvement qui vise à transmettre à la jeunesse française d’autres valeurs que celles du régime de Vichy, liberticide et soumis à l’Allemagne nazie. Dans la foulée, la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture (FFMJC) voit le jour, et dès 1948 les associations qui la composent « revendiquent une dimension de service public », rappelle l’historien Laurent Besse (1). Avec pour postulat, républicain et laïc, que « les pratiques culturelles, loin d’être réservées à une élite, peuvent et doivent être un outil d’émancipation et de construction de la citoyenneté ».
Ouvert à tous
Une utopie ? Authentiques tiers-lieux, ouvertes à tous et pas seulement aux jeunes, même si créées pour eux, des MJC – également appelées « maisons pour tous » – fleurissent alors un peu partout dans le pays, « atteignant le millier en 1968, et jusqu’au double, au début des années 90 », poursuit l’historien. Avant de déchanter, dans le sillon de la décentralisation. Car, dans la foulée de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, les « années Jack Lang » ont, paradoxalement, entravé leur élan. La politique moderne et volontariste poursuivie par le ministre de la Culture (de 1981 à 1986, puis de 1988 à 1993) se traduit notamment par le développement considérable de l’offre culturelle sur le territoire, portée par des infrastructures idoines et d’importantes hausses budgétaires. Mais cette politique, très « professionnalisée », a aussi contribué à ringardiser les MJC, dont le projet républicain et sociétal, pourtant resté inchangé, s’est trouvé invisibilisé. L’une après l’autre, certaines de ces maisons, dont le financement repose, pour une moitié, sur leurs ressources propres (adhésions des adhérents) et pour l’autre, sur les subventions publiques (municipalités et autres collectivités territoriales), se mettent alors à fermer…
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