Dans les vingt-six maisons d’Opéra de province, c’est la crise. Les productions se montent à l’euro près. Les subventions stagnent ou reculent. Et le mécénat marque le pas. Une menace réelle de fermeture pèse sur certaines institutions…
Trente ans que Lohengrin n’a pas été joué à l’Opéra national du Rhin. À quelques semaines de la première, les répétitions ont commencé au Grenier d’abondance, à Strasbourg, un imposant bâtiment qui jouxte l’antique théâtre de la place Broglie. Ici, l’opéra se fabrique partout. Dans les ateliers de couture, de perruques, d’accessoires ; dans la cordonnerie, les studios de répétition et la grande salle au rez-de-chaussée dont les dimensions sont identiques à celles de la scène. Cet après-midi, la mezzo-soprano Anaïk Morel et le baryton-basse autrichien Josef Wagner entonnent l’acte II du blockbuster wagnérien. Comme toujours dans les répétitions, les deux chanteurs économisent leur voix. Anaïk Morel, enrhumée, encore plus que d’habitude. Son partenaire commet une légère erreur de texte, se reprend et, comme pour s’excuser, chante avec une intensité nouvelle. Quelques minutes encore et Florent Siaud intervient. Certains metteurs en scène donnent l’impression de beaucoup improviser au moment des répétitions. Pas lui : il sait ce qu’il attend des solistes, de leur placement, leur mouvement, leur gestuelle. Ces indications de jeu sont millimétrées : « Ralentis ton pas avant d’aller t’asseoir sur le rocher. » Josef Wagner acquiesce, la répétition reprend sous l’œil et la baguette du talentueux directeur musical ouzbek, Aziz Shokhakimov, arrivé dans l’intervalle. Elle durera jusqu’à la nuit tombée.
Dans l’immense salle, où chacun se concentre sur la (re) création wagnérienne, le temps semble suspendu. On en oublierait presque que l’Opéra traverse une crise existentielle, que demain peut-être Lohengrin pourrait n’être plus joué. « On souffre, dites-le ! », avait lancé une perruquière croisée plus tôt dans les couloirs. C’est une réalité. Moins à Strasbourg ou Lyon qu’à Bordeaux ou Montpellier, mais personne n’est épargné. « Les Opéras sont, aujourd’hui, moins immortels que jamais », confirme le président du Centre national de la musique, Jean-Philippe Thiellay. « Le risque d’une disparition de certains d’entre eux existe. Absolument. » Il n’est pas le seul à le dire. En décembre 2022, un collectif de professionnels de la culture et d’élus locaux avait alerté dans une tribune au Monde : « Madame la ministre de la Culture, la fermeture de nos établissements n’est plus une chimère ! »
Dans ce tableau, l’Opéra de Paris fait figure d’exception. Mais pour les vingt-six maisons d’opéra situées en région la crise est majeure. En 2020, l’épidémie de -Covid-19 fait entrer l’art lyrique dans une phase d’hibernation dont il sortira péniblement, avec un public qui tarde à revenir et des recettes apetissées. Mais le pire reste à venir, avec la guerre en Ukraine qui provoque une brutale hausse des prix. Tout augmente : l’énergie, de façon exponentielle ; le coût des décors, les transports, les salaires… Les directions d’Opéras se résolvent à un crève-cœur : tailler dans leur programmation. À travers la France, près de deux cents représentations lyriques et symphoniques sont supprimées ou présentées dans des versions allégées durant le premier semestre 2023.
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