Certains appellent à voter. D’autres commencent à s’exprimer sur le RN et les élections législatives. Avec timidité : face à la polarisation des débats, les artistes ont plus à perdre qu’hier en s’engageant.
Comme beaucoup d’artistes aujourd’hui, il n’a pas grand-chose à y gagner mais beaucoup de coups à prendre. Pourtant, le rappeur et chanteur Soprano, personnalité ultra populaire –il a plus d’une fois rempli le Vélodrome et le Stade de France, passe régulièrement dans les émissions de télé grand public – vient de s’engager en appelant au vote lors des prochaines élections législatives. Ses chansons, qui prônent l’amour, la tolérance, le vivre-ensemble, la solidarité, parlent pour lui, mais il l’a rappelé, plusieurs fois, au micro de RTL, dans les pages du Parisien. Et à travers une phrase dans sa chanson Freedom : « Si le FN n’est pas raciste, c’est qu’R Kelly est féministe », en référence au musicien américain condamné pour pédopornographie, entre autres.
En ce 21 juin qui fête la musique, les artistes sortent peu à peu de leur torpeur post-dissolution. Depuis quelques jours, les tribunes et projets de tribune se multiplient. Dans les milieux les plus underground d’abord, à l’image du Front électronique allié au Front de la musique indépendante dont la pétition a récolté quelques centaines de signatures. Plus largement encore à travers la tribune du Syndicat des musiques actuelles publiée aujourd’hui, qui rassemble cinq cents artistes, plus connus, de Clara Luciani à Eddy de Pretto, Voyou, Shaka Ponk ou French 79, mais pas – pas encore ? – de vedettes du top (Jul, Orelsan, Gazo, Slimane, Vianney…). L’explication tient pour l’instant au réseau activé par le SMA, celui des petites et moyennes salles de concert, des labels indépendants.
C’est un frémissement bienvenu, car dans le monde de la musique comme ailleurs, c’est un fait, et sûrement pas un jugement, il n’y a pas eu d’élan comparable à celui des années 1980. Au lendemain des élections européennes de 1984 où le FN de Jean-Marie Le Pen avait récolté 11 % des suffrages, les vedettes de la variété n’avaient pas hésité à parcourir les plateaux de télé pour s’indigner, à l’image de Daniel Balavoine. Une chanson anti-FN avait vu le jour, Porcherie, de Bérurier Noir, dont le refrain final, aujourd’hui scandé en manifestation, avait été ajouté après une nouvelle progression du FN à la présidentielle de 1988. Une association, SOS Racisme, soutenue par la gauche alors au gouvernement, avait réussi à réunir un an plus tard cinq cent mille personnes à la Concorde lors d’un concert rassemblant Téléphone, Indochine, Francis Cabrel, Carte de Séjour, Jean-Jacques Goldman, etc., animé par Guy Bedos, Coluche et Michel Boujenah. Il serait improbable aujourd’hui. Parce que les artistes seraient moins engagés ? moins unis ? La réponse est, comme souvent, plurielle.
Le contexte a changé. Politiquement et musicalement. En histoire, il est essentiel pour comprendre les événements. Il y a évidemment la polarisation et la violence des échanges sur les réseaux sociaux qui n’incitent pas les artistes à prendre position. Le risque est grand, répondent-ils : perdre des abonnés, donc une partie de son public car ces canaux de communication sont aujourd’hui essentiels pour les artistes, mais aussi recevoir des messages de haine, voire des menaces de mort pour les plus connus. Eddy de Pretto en a fait l’amère expérience. Juliette Armanet a également pu constater qu’avis politique et chanson ne faisaient plus bon ménage lors de sa maladroite sortie sur Michel Sardou, dont on pouvait se moquer vingt ans plus tôt sans subir une tornade médiatique.
Voyou, l’un des premiers à affirmer son opposition au RN sur son Instagram, y voit également une conséquence de l’hyper-individualisme à l’œuvre dans le monde musical, accentué par son modèle économique, le streaming, et l’inflation des cachets de stars. Les inégalités se sont accrues au sein de la population, et cette fracture sociale existe aussi chez les artistes. Il y a les très gros, toujours plus gros, privilégiés par les algorithmes. Et une « classe moyenne des artistes », dont les revenus ont fondu inexorablement, tout comme une forme de solidarité entre le haut et le bas de la pyramide, ce qui n’aide pas à créer du collectif.
Parole décrédibilisée
De telles mobilisations seraient contre-productives. C’est l’autre angoisse de l’engagement côté musiciens. Les souvenirs des années 1980 sont aussi les limites de ces manifestations généreuses. Les artistes qui s’étaient engagés à gauche, ou contre le racisme, ont été tenus responsables des crises, au même titre que les politiques. « En 1980, on pensait naïvement que les prises de parole des artistes pouvaient changer la donne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui », avance Didier Varrod, directeur des antennes musicales de Radio France, qui a vécu les mobilisations de l’époque.
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