Si les musiciens souffrent de l’arrêt de leur activité, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg : une multitude de métiers “invisibles”, des techniciens aux transporteurs, rendent le leur possible. Et ils sont frappés de plein fouet par la crise.
Depuis neuf mois, ils sont alignés dans ses garages de la banlieue parisienne. Dix-neuf bus de tournée rutilants, version luxe avec chambre au plafond étoilé, draps de soie et douche massante, ou version colonie avec couchettes standards. Ils n’ont pas pris la route de l’été et ne sortiront pas de l’hiver, c’est maintenant confirmé. Willy Poilane, le gérant de la société No Limites, spécialisée dans le transport d’artistes, a d’abord vendu un bus, puis deux, et se sépare aujourd’hui d’un de ses bâtiments, celui qui possède la station de lavage. « Je n’ai pas le choix, on nettoiera les bus à la brosse quand ça repartira, comme au début. » Ses trente-cinq chauffeurs sont au chômage, il a dû faire un prêt garanti par l’État, les fameux PGE, pour payer ses charges Urssaf. Aucun bon de commande n’est encore arrivé pour 2021. Il se donne quatre mois, avant de mettre sa société sous surveillance. À Rennes, Nicolas et Vincent, les deux fondateurs de Kahut, une société bretonne spécialisée dans les chapiteaux et les toilettes sèches, ont perdu 70 % de leur chiffre d’affaires cette année. Ils prennent désormais tout ce qui se présente : « En ce moment, on pose des décorations de Noël dans les supermarchés, ce n’est pas si mal ! » Eux s’estiment chanceux d’avoir un peu de travail.
Nicolas, Vincent et Willy exercent l’un des nombreux métiers techniques de la culture. Ils sont ces « invisibles », qui gravitent autour des artistes, des salles, des festivals. « Un pied dans le transport, un pied dans le spectacle », résume Willy Poilane. Des métiers de l’ombre, « habitués à ne pas faire de bruit, comme tous ceux qui travaillent “backstage” », c’est-à-dire en coulisses. « Prestataires du spectacle vivant et de la culture » selon les documents administratifs, ils s’occupent de la sonorisation, des éclairages, de la vidéo, des structures, décors, régie, mais aussi de la restauration, des toilettes… Ou bien, attachés de presse, ils font le lien entre artistes et médias. « Notre rôle consiste à ce que tout se passe bien, et que rien ne se voie », résume l’un d’entre eux.
Un secteur qui pourrait ne reprendre qu’en 2022
Mi-septembre, pour sortir de cet anonymat, l’un de leurs syndicats, le Synpase, a décrété l’« Alerte rouge » dans plusieurs villes de France en noyant sous des spots écarlates une série de bâtiments emblématiques : Zéniths, Opéra de Clermont-Ferrand, Parc Expo de Mulhouse… afin de rappeler l’importance de leur rôle et de leurs savoir-faire dans une filière culturelle qu’on réduit souvent aux artistes et à leurs spectacles. Une opération « visibilité » qui a porté ses fruits, en partie. Début novembre, le fonds de sauvegarde des entreprises de l’événementiel et du spectacle a été élargi à d’autres métiers (le transport d’artistes, justement), prolongé jusqu’au 31 décembre et son plafond porté à 10 000 euros mensuels, au lieu de 1 500 euros. De quoi tenir quelques précieuses semaines dans un secteur qui pourrait bien ne reprendre qu’en 2022 désormais.
“On a eu beau mettre en avant le fait que l’on dépendait d’un milieu particulièrement impacté, pour le moment nous n’avons pas eu gain de cause.” Cécile Legros, présidente du syndicat APRES
Du côté des attachés de presse, un syndicat a vu le jour le 7 octobre, l’APRES, rompant avec des années d’hyper-concurrence dans un secteur affaibli par la crise du disque, où l’indépendance et la fragilité sont la règle depuis vingt ans. Derrière les paillettes de cette profession, une myriade de statuts précaires dominent chez les cent cinquante adhérents d’APRES : auto-entrepreneurs, indépendants, beaucoup de travail à domicile, un revenu mensuel moyen de 1 800 euros net avant impôts, et pas de droit au chômage. « Comme tous les indépendants, on a pu toucher 1500 euros par mois pendant le premier confinement, mais pas cet été car les métiers de communication n’étaient plus aidés, explique Cécile Legros, présidente du syndicat. On a eu beau mettre en avant le fait que l’on dépendait d’un milieu, la musique, particulièrement impacté, pour le moment nous n’avons pas eu gain de cause. »
Des discussions ont commencé avec le nouveau Centre national de la musique, créé le 1er janvier 2020 et qui travaille désormais au secours d’une filière dévastée. Cécile Legros attend maintenant leur traduction concrète : la rétroactivité du fonds de solidarité à l’été, la reconnaissance par le CNM que leur profession est bien « génératrice de création artistique », ce qui leur permettrait de bénéficier, eux aussi, du plan de relance de la culture, dont ils s’estiment les grands oubliés.
Des aides souvent dérisoires
Face aux 2 milliards alloués à un secteur culturel véritablement placé sous perfusion – fonds d’urgence, compensation des jauges, soutien à la transition écologique… –, les sommes perçues depuis le début de la crise par ces métiers « satellites » paraissent parfois dérisoires. Et pour cause, le dispositif n’a pris en compte que les créateurs et les diffuseurs : artistes, tourneurs, éditeurs, événements, salles… : « Le ministère de la Culture ou le Centre national de la musique nous parlent de ruissellement des aides, s’agace Cécile Legros, mais on sait maintenant que rien ne se passera pendant au moins six mois encore. En attendant, on fait comment ? »
Soudé dans le discours, le secteur ne l’a pas toujours été dans les faits. Souvent faute de moyens. Parfois par lâcheté. Sébastien d’Assigny, spécialisé musique et spectacle, s’est vu signifier en plein confinement la fin d’une...
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