Des organisations professionnelles et des scientifiques préparent plusieurs expérimentations pour mesurer le risque sanitaire engendré par les spectacles musicaux. Une démarche suivie avec intérêt par les secteurs culturel et sportif, et sous l’œil du gouvernement.
C’était il y a un an, déjà. Le ministre de la santé, Olivier Véran, annonçait, le 29 février 2020, l’interdiction de tous les rassemblements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné. Puis, le 8 mars, la barre tombait à 1 000 personnes, avant que tout s’arrête avec le confinement. Premières à fermer, les grandes salles de spectacle seront sans doute les dernières à rouvrir. Mais quelle est la réalité du surrisque d’être contaminé au virus du Covid-19 en assistant masqué à un concert et en respectant certaines règles sanitaires ?
Mi-février, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a donné son feu vert au souhait de deux organisations professionnelles d’organiser des concerts tests au Dôme de Marseille et à l’AccorHotels Arena de Paris-Bercy en mars et avril. « Un an après notre mise à l’arrêt, il est plus que légitime de demander une enquête scientifique pour éviter les discussions de café du commerce sur le Puy du Fou, par exemple », estime Jean-Paul Roland, directeur du festival des Eurockéennes de Belfort et membre, au sein du Prodiss (Syndicat national du spectacle musical et de variété), du comité de pilotage du concert test parisien.
Si la ministre de la culture se dit aujourd’hui ravie de ces futures expérimentations pour, dit-elle, « quantifier ce qui se passe dans ces lieux et établir des protocoles efficients », ce n’est pas la Rue de Valois qui en est à l’initiative, mais les professionnels eux-mêmes. « Depuis le début de la crise, on a dû se prendre en main et on se retrouve dans le rôle désagréable d’apprentis épidémiologistes », pointe Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat des musiques actuelles (SMA). « On a besoin d’aiguillonner le gouvernement. Que Roselyne Bachelot s’approprie l’idée est le seul message d’espoir après le carcan de la jauge de 5 000 places assises annoncé le 18 février pour les festivals d’été », constate Jean-Paul Roland.
« Expériences complémentaires »
C’est à Marseille que l’idée de concert test a germé, juste avant l’été 2020. Des directeurs de salles et organisateurs de festivals, parmi lesquels Béatrice Desgranges, directrice du festival Marsatac et membre du bureau du SMA, se sont tournés vers Vincent Estornel. Ce médecin, urgentiste de formation, travaille depuis vingt ans chez Euromedicare, entreprise privée qui gère des dispositifs de secours médicalisés sur de grands événements culturels. Ensemble, ils ont créé un collectif, Do3me, pour porter le projet de concert test en se rapprochant de l’Inserm. « Nous voulons étudier la transmission du virus via une étude scientifique afin d’être irréprochables », insiste Vincent Estornel.
Du côté parisien, ce sont les expérimentations menées en Allemagne, à Leipzig, puis en Espagne, à Barcelone, avec des résultats probants, qui ont convaincu le Prodiss de lancer un test grandeur nature en France. Le syndicat a reçu le soutien de la Mairie de Paris, qui lui a permis d’entrer en contact avec l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). « Les deux expériences, marseillaise et parisienne, sont complémentaires et non concurrentes, nous sommes dans une vraie entente », insiste Jean-Paul Roland.
Comment vont se dérouler les expérimentations ? Les protocoles sont actuellement en cours d’écriture. Pour être validés, ils devront obtenir l’aval de comités d’éthique et de protection de la personne et l’avis de la nouvelle Agence nationale de recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE). Créée le 1er janvier, elle est dirigée par le professeur Yazdan Yazdanpanah, membre du conseil scientifique Covid-19 et chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Bichat à Paris. Les préfets des villes concernées devront aussi donner leur feu vert et, a précisé Roselyne Bachelot, l’autorisation finale nécessitera la publication d’un décret. Le tout si le contexte sanitaire ne tourne pas à la catastrophe…
A Marseille, 2 000 volontaires, âgés de 20 à 35 ans, sans facteurs de comorbidité, vont être recrutés puis tirés au sort pour être répartis en deux groupes de 1 000. Pendant que l’un assistera au concert, fin mars-début avril, au Dôme (une salle pouvant contenir 8 000 spectateurs), l’autre restera à la maison. Puis inversement, une semaine plus tard. Au programme : un plateau d’artistes marseillais, parmi lesquels le groupe de hip-hop IAM. Chaque volontaire passera un test salivaire le jour du concert et sera admis dans la salle, même si son test est positif. « Avec un masque FFP2, qui sera obligatoire, et la distanciation, nous partons de l’idée que le virus ne se transmet pas », justifie Constance Delaugerre, professeure en virologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris, qui conduit l’équipe scientifique supervisant les expérimentations. Puis les volontaires seront à nouveau testés sept jours plus tard.
Pendant le spectacle, chacun sera assis, mais aura l’autorisation de se lever et de chanter dans un périmètre délimité. Une partie du public sera installée en mode côte à côte et une autre avec une séparation d’un siège sur deux. La buvette restant fermée, chaque spectateur disposera de sa propre bouteille d’eau. « Nous voulons tester un protocole sanitaire strict. S’il démontre qu’il n’y a pas un surrisque par rapport au groupe témoin, ce test sera aussi valable pour d’autres lieux culturels », précise la virologue.
Concert transgénérationnel
Une deuxième expérience aura lieu à Paris, courant avril, avec 7 500 volontaires, eux aussi répartis en deux groupes par tirage au sort : 5 000 assistant au concert test et 2 500 restant à domicile. Pour ce concert d’Indochine à l’AccorHotels Arena (20 000 spectateurs en jauge pleine), le public sera debout, sans distanciation physique. Un test PCR de moins de soixante-douze heures sera exigé et seuls les spectateurs négatifs au test du Covid-19 seront retenus. Puis un test salivaire sera réalisé sur place, accompagné d’un questionnaire sur d’éventuels symptômes. Les volontaires auront l’obligation de télécharger l’application TousAntiCovid et les organisateurs projettent d’utiliser des caméras pour surveiller le bon port du masque. Enfin, un nouveau test salivaire sera effectué à J + 7.
Pour l’heure, des discussions se poursuivent pour déterminer les catégories d’âge. L’AccorHotels Arena serait favorable à un concert transgénérationnel, le choix du groupe Indochine illustrant cette volonté. A la différence de Marseille, la limite d’âge pourrait atteindre 45 ans. Il a même été évoqué 60 ans comme limite supérieure, mais une partie de l’équipe scientifique y est opposée. Du côté des artistes, les volontaires n’ont pas manqué. Plusieurs groupes et musiciens étaient désireux de participer à ce test. D’autant que les images de ce premier grand concert parisien après une année de Covid-19 devraient sans doute être largement diffusées.
« L’hypothèse est que le groupe concert ne fera pas pire ou pas mieux, en termes d’infection, que le groupe témoin qui est resté à la maison. Nous voulons vérifier que ce concert n’aura pas généré de surrisque. Quant à la randomisation [méthode de répartition fondée sur le hasard] des expérimentations, elle permettra d’éviter les biais », explique Constance Delaugerre. Si les résultats arriveront trop tard pour l’organisation des festivals d’été, ils pourraient, s’ils sont satisfaisants, être déterminants pour une relance, en septembre, des grandes jauges avec des protocoles adaptés.
« Le but de nos travaux, notre mission, est de déterminer les conditions de faisabilité pour rouvrir les lieux culturels. On sait que les rassemblements sont à risque depuis l’épisode du rassemblement évangélique à Mulhouse [2 500 personnes à la mi-février 2020]. Le projet est scientifique, mais va au-delà. Tout le monde est capable de comprendre que si on se fait dépister avant, qu’on joue le jeu, on pourra reprendre une vie culturelle. C’est un nouveau contrat social », considère Constance Delaugerre.
Colloque scientifique européen
Enfin, un troisième protocole est en cours d’écriture avec le festival de reggae et musiques du monde No Logo BZH, près de Saint-Malo. Il s’agit cette fois d’une configuration très différente, avec un concert en plein air, debout, sur deux week-ends, à la mi-mai et accueillant 4 000 participants (2 000 chaque week-end). L’expérience prévoit d’intervertir les deux groupes afin qu’ils servent mutuellement de groupe contrôle. Sur place, les volontaires trouveront restauration, buvette et camping. Le protocole, encore en chantier, est réalisé avec le professeur Pierre Tattevin, infectiologue et chef du service des maladies infectieuses au CHU de Rennes. « Au-delà des festivals de cet été, notre but s’inscrit sur le long terme. Il faut trouver des protocoles qui nous permettent, malgré le Covid ou d’autres virus qui arriveraient, de travailler et d’offrir des spectacles au public », résume Michel Jovanovic, directeur du No Logo BZH.
Ces expérimentations, qui...
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