Parce qu’il n’y a pas de promotion plus efficace que des milliers de vidéos partagées par les fans, les musiciens favorisent l’usage des téléphones pendant leurs spectacles. Allant jusqu’à adapter leur scénographie à cet effet.
Pour Dinos, c’est non. « Je veux qu’on vive le moment, sans distraction. […] C’est pourquoi il sera interdit de filmer et de prendre des photos durant le show », avertissait le rappeur en janvier dernier. À 30 ans, il fait figure d’exception dans une industrie convertie aux bienfaits de l’usage des téléphones en concert. À classer aux côtés de quelques résistants, souvent plus âgés, de Jack White à Bob Dylan ou Alicia Keys, qui obligent les spectateurs à ranger leurs appareils dans des pochettes verrouillées.
Le reste du temps, la fosse des concerts est devenue une mer de rectangles lumineux que l’on brandit pour capturer photos et vidéos, lesquelles alimenteront un flux déferlant sur Instagram et autres réseaux sociaux : « J’y étais, j’ai vu, j’ai filmé. » À la différence qu’aujourd’hui, artistes et maisons de disques en redemandent, observe Pierre Walfisz, directeur du label Tôt ou Tard et du tourneur Zouave, dans le milieu depuis une vingtaine d’années. « Les règles de fonctionnement de l’industrie musicale changent à une vitesse phénoménale, quasiment tous les dix ans. J’ai connu l’époque où les organisateurs de concerts faisaient la chasse aux appareils photo. Aujourd’hui, on a intégré cette donnée, elle s’invite naturellement dans nos discussions. »
Une audience gigantesque
Pour un chanteur populaire comme Vianney, les publications se comptent en milliers après chaque spectacle. Les outils intégrés aux réseaux sociaux permettent aux professionnels de savoir le nombre de fois qu’un artiste a été mentionné, ou un hashtag employé dans les jours suivants. Ils restent toutefois discrets sur les chiffres exacts – dont ils minorent l’exploitation : « Leur volume dépend évidemment du nombre de spectateurs dans la salle : on s’intéresse plutôt à la proportion », précise Pierre Walfisz. En revanche, son label scrute de près ces contenus : « Le concert constitue un peu l’heure de vérité : c’est là qu’on mesure l’engagement véritable du public envers l’artiste – davantage que par le streaming. » Une séquence très relayée par les spectateurs permet, par exemple, de confirmer (plus rarement d’identifier) l’existence d’un tube.
Jeune génération d’artistes et maisons de disques ont depuis longtemps compris que la diffusion de contenus par le public sur les réseaux sociaux constitue un moyen de promotion gratuit particulièrement efficace, dont se réjouissent les services marketing. « Une viralité organique, quelle qu’elle soit, c’est plus fort qu’un passage télé, c’est une audience gigantesque », souligne le directeur de Tôt ou Tard. D’où le laisser-faire généralisé, alors que la captation et la diffusion d’extraits de concert par les spectateurs pourraient, théoriquement, relever de la contrefaçon au sens du code de la propriété intellectuelle (art. L335-2).
Entretenir la proximité
Au sein du label Pias, le relais des vidéos et photos publiées par le public fait même partie de la stratégie, explique Maëlle Dion, digital marketing manager : « On a accès aux comptes de nos artistes. On regarde systématiquement ce qui est publié et on insiste pour leur demander de repartager, non pas l’intégralité, mais les bonnes vidéos, des angles de vue différents… Certains le font d’ailleurs spontanément. » Tous sont incités à privilégier le qualitatif, en republiant de préférence des médias prescripteurs, des personnalités… Beaucoup entretiennent aussi la proximité avec leur public en distribuant remerciements et émojis dans leurs « stories » ou par message privé.
Pour les maisons de disque, une séquence très relayée par les spectateurs permet, par exemple, de confirmer l’existence d’un tube.
Pour les maisons de disque, une séquence très relayée par les spectateurs permet, par exemple, de confirmer l’existence d’un tube. Photo Benoit Durand/Hans Lucas via AFP
Car les fans lambda demeurent les meilleurs communicants de leurs idoles, assure Maëlle Dion. « Tous ces contenus construisent quelque chose de très authentique : c’est un vecteur de confiance, davantage que ce qui est produit par le label ou l’artiste. C’est ce qu’on appelle le “user-generated content”, le nerf de la guerre en marketing aujourd’hui. » Capitaliser sur le naturel, n’est-ce pas risquer la propagation d’éléments peu flatteurs ?
« Ça fait partie du jeu. Dès l’instant où l’on autorise le téléphone, il est impossible de contrôler les images prises par le public. La façon de le gérer dépend de l’artiste : Angèle par exemple repostait beaucoup de vidéos, et pas seulement celles à son avantage », observe Florent Muset, attaché de presse à l’agence MPC. Qui tempère : à moins d’une prestation catastrophique, la pratique vise surtout à garder un souvenir ou à créer du lien avec les stars. Les équipes l’ont compris : elles travaillent avec des comptes de fans très actifs, auxquels elles octroient parfois des accès inédits.
L’importance des smartphones est telle que de plus en plus d’artistes jouent avec ces nouveaux codes au moment de concevoir leurs concerts : dans son actuelle tournée Crash Cœur, Eddy de Pretto interprète l’un des morceaux en se filmant en selfie avec un drone. L’an dernier, mise en scène semblable pour la chanteuse espagnole Rosalia, dont le Motomami Tour incluait des écrans géants verticaux, au positionnement et à la taille pensés pour être bien perçus – et filmés – par les téléphones, a expliqué à France Culture Stufish, le studio derrière sa scénographie.
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