Un changement de mode de rémunération des artistes par les plates-formes de streaming raboterait les revenus des rappeurs les plus écoutés et favoriserait les autres genres musicaux. Mais les ayants droit les plus mal lotis ne seraient pas mieux dotés.
C’est peu de dire que l’étude du Centre national de la musique (CNM) sur le mode de rémunération des artistes dont les œuvres sont diffusées sur les plates-formes de streaming, rendue publique mercredi 27 janvier, est attendue comme le messie. Les artistes du monde entier se plaignent d’être payés une misère par Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Prime et surtout YouTube. Aujourd’hui, 90 % reçoivent moins de 1 000 euros par an, même si leurs titres sont « streamés » jusqu’à 100 000 fois, selon Aepo-Artis, l’association européenne des sociétés de gestion des droits des artistes-interprètes.
Avec l’appui du cabinet Deloitte, le CNM décortique cette question passionnelle : faut-il changer le système existant pour un autre, plus juste ? Celui appliqué depuis l’origine des plates-formes, le Market Centric Payment System (MCPS), consiste à répartir les revenus générés par le streaming aux ayants droit en fonction de leur part de marché. Ce qui favorise une poignée d’artistes comme Drake, Ed Sheeran, Post Malone, Ariana Grande ou Eminem, les plus écoutés, souvent en boucle, par un public jeune.
Selon la société d’analyse américaine Alpha Data, sur 1,6 million d’artistes dont la musique était en ligne sur les plates-formes en 2019, 1 % ont capté 90 % des écoutes globales. Et dans ces 1 % d’élus, 10 % ont concentré 99,4 % des écoutes. Une autre option soutenue par Deezer, le User Centric Payment System (UCPS), consisterait à ne rémunérer que les artistes écoutés par les abonnés des plates-formes. Et pas, comme aujourd’hui, ceux qu’ils n’écoutent pas.
Pas de miracle
L’étude Deloitte affirme que l’UCPS « aurait pour effet d’atténuer fortement les redevances touchées par le top 10 des artistes », qui perdraient 17,2 % de revenus, « de stabiliser le milieu du classement avec une faible augmentation des redevances perçues, et d’augmenter de 5,2 % les redevances des artistes les moins écoutés (au-delà du 10 000e rang) ».
Par ailleurs, l’UCPS redonnerait des couleurs à la diversité musicale, puisqu’un plus grand nombre de genres musicaux bénéficierait d’augmentations importantes, comme « la musique classique (+ 24 %), le hard rock (+ 22 %), le blues (+ 18 %), la pop-rock (+ 17 %), le disco (+ 17 %) ou le jazz (+ 10 %) ». A contrario« le rap (− 21 %), le hip-hop (− 19 %) et, dans un moindre degré, l’afro-beat (– 9 %) et le new age (− 7 %) verraient leurs redevances baisser ». De plus, les titres mis en ligne il y a plus de dix-huit mois seraient mieux rémunérés.
Toutefois, en valeur, l’UCPS ne fera pas de miracles et n’enrichira pas les artistes qui ne touchent déjà pas grand-chose. Si les pourcentages de hausse semblent a priori élevés, par exemple dans le classique, ils s’appliqueront à des assiettes si faibles que les artistes n’en verront pas la couleur. L’étude relativise l’intérêt du changement puisque, « au-delà du 10 000e artiste le plus écouté, toutes esthétiques confondues, l’impact du passage au user centric serait au maximum de quelques euros par an par artiste ».
En revanche, ce nouveau système permettrait de lutter contre la fraude, notamment contre les « fermes à clics », qui augmentent artificiellement les écoutes de certains artistes. Pour le producteur et chanteur Bertrand Burgalat, président du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), le principe de l’UCPS est « extrêmement louable », mais, « s’il faut un mode de rémunération plus proche des usages réels, il faut à tout prix éviter qu’en souhaitant améliorer les choses on les détériore ».
« Risque de dévoiement »
Jean-Philippe Thiellay, président du CNM, s’est forgé trois convictions grâce à cette étude. Primo, avec l’UCPS, « on en a le cœur net : à de rares exceptions près, ceux qui recevaient peu des plates-formes de streaming ne gagneront pas davantage ». Secundo, il est fondamental de clarifier les mécanismes utilisés par les plates-formes. En effet, le poids croissant des outils de recommandations reste trop opaque. C’est le cas des algorithmes qui décident du titre enchaîné après un album que l’abonné écoute, ou encore des recommandations des playlists.
« La création d’œuvres ne doit pas être abaissée au rang de “produit”, en concurrence avec des contenus de type musique d’ambiance au kilomètre, fabriquée par des ordinateurs ou des services audio non musicaux », assure-t-il. Le président du SNEP s’inquiète aussi « des risques de dévoiement de la part des plates-formes qui, par leurs recommandations, ciblent encore davantage les utilisateurs ou leur proposent des contenus soit à bas prix soit qu’elles détiennent ».
Tertio, enfin, l’étude « n’est qu’une photographie » quinze ans après la naissance des plates-formes, dans un paysage « encore très mouvant », selon Jean-Philippe Thiellay. Si les services de musique en ligne ont gagné 1,7 million d’abonnés payants entre 2018 et 2019, la France, avec 10 % de sa population abonnée à une plate-forme payante, reste à la traîne des Etats-Unis ou du Royaume-Uni (plus de 25 %) de l’Allemagne (moins de 20 %) et des pays scandinaves (plus de 35 %).
Quelles suites donner à cette étude ? La question du coût du passage à l’UCPS reste encore à préciser. Mais surtout,...
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