Le secteur culturel le plus touché par la crise sanitaire ne voit toujours pas comment il pourra redémarrer son activité.
« Et nous ? Qu’on nous dise quelque chose ! », interpellent avec angoisse les professionnels du spectacle vivant, secteur culturel le plus impacté par la crise sanitaire. Par deux fois, ces derniers jours, bon nombre d’acteurs de la scène musicale ou théâtrale ont « bondi » en découvrant ce qui s’apparente, à leurs yeux, à un deux poids, deux mesures.
Le 24 juillet, le Puy du Fou (Vendée) a accueilli 12 000 personnes dans trois tribunes séparées par des plaques de Plexiglas pour son spectacle nocturne La Cinéscénie. Devant la polémique, le parc à thème vendéen a promis, comme l’impose la loi en période de virus, de limiter le public de la prochaine représentation à moins de 5 000 personnes. Puis, le 27 juillet, l’ancien ministre de la culture Franck Riester, désormais chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, a annoncé la réouverture des foires et salons professionnels au 1er septembre, sans jauge limite, mais « dans le respect des gestes sanitaires et la surveillance constante de l’évolution de l’épidémie ».
« Nous ne comprenons pas bien ce qui distingue notre rassemblement de masse des grands salons ou des parcs d’attractions », ironisait Joachim Garraud, directeur du festival électro Elektric Park, à Chatou (Yvelines), qu’il espérait encore récemment pouvoir organiser le 5 septembre, avant d’y renoncer le 24 juillet. « Franck Riester s’avance-t-il un peu vite ou ouvre-t-il une brèche dans laquelle nous pourrons nous engouffrer ? », s’interrogeait Stéphane Hillel, président de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) et directeur du Théâtre de Paris.
« En quoi passer plusieurs heures dans un wagon de TGV, ou une rame de RER, et dans un théâtre est-il différent ? », ajoutaient Fleur et Thibaud Houdinière, directeurs d’Atelier théâtre actuel, l’une des plus importantes sociétés de production et de diffusion théâtrale. « Ce raisonnement reste incompréhensible », se désespéraient-ils, après avoir dû annuler 25 pièces programmées dans le « off » du Festival d’Avignon, 175 représentations en tournée et six spectacles à Paris.
Le ministère de la culture a visiblement entendu le message et apporté un début de réponse. Un nouveau décret, en date du 27 juillet, précise que les rassemblements de plus de 5 000 personnes pourront reprendre au 1er septembre, sans jauge ni autorisation, et dès le 15 août sur autorisation préfectorale. Les conditions sanitaires d’accueil du public restent inchangées et de « nouvelles informations sur l’évolution de [ces] mesures sont attendues aux alentours du 24 août », selon le ministère.
« La communication du gouvernement est illisible », se désole Arnaud Meersseman, responsable de la branche française de la société de production américaine AEG (Céline Dion, Green Day…) et producteur du festival Rock en Seine. « La nouvelle ministre de la culture, Roselyne Bachelot, avait promis qu’elle se saisirait du sujet, mais le flou reste total », déplore Aurélie Hannedouche, déléguée générale du Syndicat national des musiques actuelles (SMA), en s’inquiétant d’un programme de rentrée sur lequel planent des menaces d’annulation : « Doit-on ou pas retirer les places en vente pour les concerts de septembre ? Nous avons besoin de réponses claires. »
Lettre ouverte
L’enquête menée par la Rue de Valois et publiée début juillet montre qu’avec une chute de 72 % de son chiffre d’affaires (en baisse de 4,2 milliards d’euros), le secteur du spectacle vivant (musique, théâtre, danse, cirque et ses 217 860 salariés), hors structures subventionnées, est, depuis sa mise à l’arrêt, le 15 mars, le plus durement touché dans le domaine de la culture.
« L’impact a été très fort pendant le confinement mais les pertes vont se poursuivre jusqu’à la fin de l’année et risquent, sur le long terme, d’avoir un effet collatéral sur la création, avec un risque de dévitalisation du secteur », constate Loup Wolff, chef du département des études, de la prospective et des statistiques au ministère de la culture.
Entre la menace d’une reprise épidémique et le changement de gouvernement, les professionnels sont à nouveau plongés dans l’incertitude quant aux conditions de reprise à la rentrée. Si la distanciation physique est maintenue, l’équilibre économique semble inatteignable. Et si le discours sur le virus demeure anxiogène pour les lieux clos, le public risque de repousser son retour dans les salles. Les réservations pour la saison d’automne ne décollent pas. « On vend très peu », reconnaît Frédéric Biessy, directeur du théâtre La Scala, à Paris, qui reprend, à partir du 11 septembre, la pièce Une histoire d’amour, d’Alexis Michalik, et ouvrira, malgré tout, une nouvelle salle de 200 places en programmant le stand-upeur Jason Brokerss. « On est sorti des habitudes de consommation », se désole Stéphane Hillel.
Face à cette crise historique sont désespérément réclamées des perspectives pour redémarrer l’activité et retrouver la fréquentation. Mi-juillet, le SMA et des directeurs de salles de concerts ont été à l’origine d’une lettre ouverte, Tous debout contre la mise à genoux de la musique !, cosignée par plus de 1 500 professionnels, insistant sur la nécessité de lever progressivement l’interdiction dans des lieux clos pour des spectateurs debout, à partir du 1er septembre.
Le Prodiss (Syndicat national du spectacle musical et de variété) a élaboré une série de protocoles (port du masque obligatoire, sens de circulation, aménagement des bars…) pouvant permettre d’accueillir un public debout sur la jauge habituelle de trois personnes au mètre carré. Les théâtres prévoient les mêmes mesures sanitaires. « Mais on a anticipé d’ouvrir sans distanciation physique car, fin mai, lors d’une réunion avec Franck Riester, on nous promettait qu’elle serait levée. Depuis, le doute et l’angoisse sont revenus », appréhende Stéphane Hillel.
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