Après plus de deux ans de crise liée au Covid-19, le secteur de la musique live a vécu une année record en 2023, avec une envolée du nombre de places vendues et une hausse importante du prix des tickets.
Toujours plus. La capitale comptait déjà Paris La Défense Arena et l’Accor Arena… A partir du dimanche 11 février, c’est au tour de l’Adidas Arena, la nouvelle enceinte couverte vouée aux sports et à la culture installée porte de la Chapelle à Paris, d’ouvrir ses portes. Un stade où se tiendront les épreuves de badminton et de gymnastique rythmique des Jeux olympiques, les matchs du club Paris Basketball et autres événements sportifs, mais aussi des concerts – Zola, Hoshi, The Kid Laroi, etc. Avec sa capacité de 9 000 places en version concert, la seule de cette jauge dans la capitale, l’Adidas Arena va tenter de se faire une place sur la carte des salles de spectacle.
Cela tombe bien, le marché des concerts est en ébullition. Et en pleine mutation. Paralysées de longs mois par l’épidémie de Covid-19, les tournées ont repris de plus belle depuis la fin 2022. En manque de scènes, les artistes retrouvent leur public et les tourneurs tentent de rattraper le temps perdu, notamment pour les artistes internationaux coincés derrière leurs frontières. En 2023, l’Accor Arena a ainsi vendu 1,5 million de billets, un record qui place la salle parisienne au deuxième rang mondial, selon Pollstar, derrière le Madison Square Garden de New York mais devant l’O2 Arena de Londres.
« Et l’année 2024 s’annonce très dense avec près de 140 événements, contre 130 en moyenne les autres années », estime Nicolas Dupeux, directeur général de Paris Entertainment Company (l’Accor Arena, le Bataclan et la nouvelle Adidas Arena). Dans la même veine, 120 concerts sont prévus au Bataclan cette année, contre 98 la saison dernière.
Un engouement qui fait du bien aux finances de la profession. Sur le prix d’un billet pour un concert de musique actuelle, un spectacle d’humour ou une comédie musicale, 3,5 % de taxes sont prélevées et redistribuées sous forme d’aides publiques. Selon Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), « le milliard d’euros de recettes de billetterie a été largement dépassé en 2023 » et la taxe fiscale atteint 48,5 millions d’euros, contre 35 millions habituellement. Un record absolu, selon le CNM.
Un public plus diversifié
« Le Covid-19 a fonctionné comme une campagne de promotion pour les spectacles », remarque Olivier Darbois, directeur général du producteur Corida – Radiohead, Daft Punk, Simply Red – et président d’Ekhoscènes (ex-Prodiss), le syndicat des entrepreneurs du spectacle vivant privé. Un constat partagé par l’ensemble des acteurs de la filière. « Cela nous a apporté un nouveau public en salle », dit-il. Plus diversifié aussi. Pour remplir une Arena, renchérit Nicolas Dupeux, « on a toujours d’un côté des légendes comme U2, Coldplay, mais aussi les “phénomènes” comme PLK, SCH, Orelsan, Lomepal ». Et, fait nouveau, des artistes dont la notoriété s’est construite sur Spotify et Deezer, « qui remplissent la salle en une journée, en claquant des doigts, alors que personne ne les connaissait il y a six mois », affirme-t-il.
Les places sont parties très vite pour le quintette féminin anglais The Last Dinner Party à La Maroquinerie en février. « Avec Inhaler, le groupe du fils de Bono, le chanteur de U2, on attaque directement avec un Zénith », se félicite Arnaud Meersseman, directeur général d’AEG France. Depuis une dizaine d’années, les plates-formes ont fait exploser le système classique, qui consistait pour un artiste à sortir un album avant d’envisager une tournée.
« Les groupes ou les chanteurs arrivent désormais à trouver leur public sans même avoir de maison de disques », assure Jules Frutos, cogérant d’Alias Production (Blur, Fishbach, Franz Ferdinand, Muse, The Cure…). « La nouveauté tient au fait qu’une même clientèle peut désormais aimer tous les genres de musique, pas juste le rock ou la variété française », souligne Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France, la plus grande entreprise du secteur, avec plus de 44 000 concerts produits par an dans plus de quarante-cinq pays.
Jeunes fortunés
Revers de la médaille, cet engouement retrouvé pour les grands concerts s’accompagne d’une hausse générale des prix des billets sous l’effet d’une multitude de renchérissements (frais de personnels, de sécurité, de l’énergie, etc.). « Il y a clairement eu une augmentation du prix des places, reconnaît Nicolas Dupeux. A l’Accor Arena, le prix moyen est passé de 67 euros avant le Covid-19 à 85 euros aujourd’hui, soit une hausse de 30 %. » « Si une famille aux revenus moyens s’offre trois places pour Beyoncé, son budget pour un mois de vacances est dépensé en un seul soir », admet Arnaud Meersseman, qui doute que, en raison de l’inflation et des arbitrages financiers de plus en plus contraints, « le public puisse s’offrir plus de deux ou trois concerts dans l’année ».
Nicolas Dupeux constate, de son côté, que le public jeune donne sa préférence au live, quitte à se restreindre sur d’autres produits de consommation, comme les vêtements ou les sorties au restaurant. « Ils ont envie d’exaltation, de communion, de partage. Quitte à payer jusqu’à 1 000 euros pour assister à quatre concerts entre mai et juin », veut-il croire. Signe en tout cas qu’il vise une catégorie de jeunes fortunés.
Le patron de Live Nation France, Angelo Gopee, tient à relativiser cette inflation des tarifs : « On assiste à une explosion du nombre de concerts, pas des prix. » A ses yeux, les tarifs pratiqués dans le sport, notamment le foot ou le basket, ont infiniment plus augmenté que ceux des concerts, mais personne n’y trouve à redire. Assister à un match de la NBA coûte plus de 1 000 euros. « Et il faut payer 70 000 euros pour assister à une finale des Lakers en étant placé juste devant le parquet », assure Angelo Gopee.
Tarifs moins chers en France
Dans le détail, une étude, commandée par Ekhoscènes à PMP Strategy et publiée en juin 2023, montre que les tarifs les plus accessibles sont globalement restés au-dessous de l’inflation entre 2019 et 2023. Ils ont atteint 22 euros en moyenne contre 21 euros au cours de cette période dans les petites salles, mais dans les grandes enceintes – de 1 500 à 6 000 places – les prix ont bondi de 22 % pour atteindre 27 euros en moyenne. Pour les tarifs les plus hauts, seules les plus grandes jauges dépassent l’inflation, qu’il s’agisse des enceintes de plus de 6 000 places (+ 18 %, à 70 euros) ou des stades (plus de 40 000 places, où le prix a augmenté de 23 %, à 137 euros).
Là encore, dans cette catégorie, les artistes internationaux – comme Muse, Depeche Mode, Metallica, Rammstein, Beyoncé, The Weeknd, Harry Styles… – se monnaient en moyenne à 149 euros pour les places les plus chères, contre 106 euros pour les artistes francophones.
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