A l’instar de «My Brazza» dansé par Florent Mahoukou, les pièces de théâtre et de danse, privées de leurs cadres habituels, s’invitent dans les établissements scolaires.
Florent Mahoukou monte sur le bureau du professeur et la respiration des élèves en CAP du lycée Anatole-France à Colombes (Hauts-de-Seine) se fait soudain haletante. Comme si le fait de danser sur le mobilier scolaire était par définition une profanation. Comme si la salle de classe avait ses règles auxquelles nul ne pouvait déroger, sous peine qu’une malédiction ou, pire, une punition (heure de colle ou remarque dans le carnet) ne lui tombe sur le nez. Mais vite balayer cette idée. Le danseur congolais de My Brazza a beau avoir un Eastpak sur le dos, il ne transporte ni crayons ni cahiers. Entre les pupitres, son corps se meut pour mieux dessiner la carte de l’Afrique, pas celle des pays riches mais celle qu’il a dans le cœur : «Vous voyez, au niveau de mes pieds, c’est l’Afrique du Sud, au-dessus de ma tête, c’est la Méditerranée, la République du Congo, c’est au niveau de ma hanche et Brazzaville, ce serait là, à l’endroit de mon estomac.» Son sac de lycéen, c’est celui de l’exil de la capitale aux plages de Pointe-Noire où il aime danser. A l’intérieur, quelques vêtements, un tube de dentifrice, un savon - Florent Mahoukou est toujours sur le qui-vive, prêt à fuir. En 1998, durant la guerre civile au Congo-Brazzaville, il avait à peine 17 ans, presque le même âge que les adolescents qui le regardent s’affairer ce jeudi durant son sensible cours d’histoire-géographie.
Partenariats
Depuis le deuxième confinement et la fermeture des salles sine die, les établissements scolaires sont devenus des espaces refuges pour comédiens, danseurs et musiciens. Les contraintes gouvernementales n’interdisant pas les représentations en classe, ce sont les seuls endroits (si on ne compte pas la rue, les gares et les centres commerciaux) où il est encore possible de se produire devant un public. La presse régionale se fait écho ici et là de cette profusion de spectacles et d’ateliers dans les écoles, collèges et lycées. Mais ces initiatives ne datent pas d’hier. Et si aujourd’hui, elles sont scrutées avec une plus grande curiosité au regard d’un contexte épidémique bien particulier, elles ont rarement été programmées en réaction à la crise sanitaire mais prévues bien en amont, entrant dans des partenariats parfois de longue date entre l’Education nationale et les théâtres.
«En Ile-de-France, l’appel à projets "éducation artistique et culturelle" permet à l’occasion de chaque année scolaire de financer plus de 100 projets dans les lycées et centres de formation d’apprentis (CFA). Au moins 40 % d’entre eux donnent lieu à des spectacles», souligne Florence Portelli, vice-présidente du conseil régional d’Ile-de-France chargée de la Culture, avant d’énumérer tout un tas d’autres partenariats spéciaux avec l’Odéon, la MC93 ou la Philharmonie. Dear Prudence de Christophe Honoré mis en scène par Chloé Dabert est actuellement en tournée dans des lycées de Paris, Nantes, Strasbourg et Reims dans le cadre du programme «Lycéens citoyens, sur les chemins du théâtre», la compagnie (S)-Vrai et le Théâtre de la Poudrerie investissent les collèges de Sevran et le festival Arts Sciences en Isère s’adapte pour créer des performances en milieu scolaire, notamment grâce à des cabines intelligentes qui permettent d’expérimenter en solo tours de mentalisme et de prestidigitation. Las de subir les interdictions gouvernementales qui imposent sans cesse de naviguer à vue, le ThéâtredelaCité à Toulouse a carrément annulé sa saison jusqu’en juin 2021. Voulant jouer de la contrainte pour mieux résister, l’équipe de Galin Stoev réfléchit désormais à une programmation mensuelle capable de s’adapter aux mille et un caprices de la gestion sanitaire. «Si pendant un mois entier, on ne peut faire que du scolaire, on pourra y consacrer notre énergie, explique Stéphane Gil, le directeur délégué. Cela permettra de déhiérarchiser l’action culturelle et la représentation en salle, d’aller chercher un public plus diversifié, d’ouvrir le théâtre à toute une génération. En acceptant d’abandonner en quelque sorte ce qu’on a toujours fait, on se déplace aussi. On tente comme on peut de faire face à l’impossible, de progresser.»
Pupitres
Mais ces spectacles pour les scolaires ont beau être autorisés, il est toujours interdit aux élèves comme aux autres spectateurs de passer le seuil d’un théâtre. Aussi discutable que soit la réglementation, les artistes doivent se démener pour faire rentrer pièces de théâtre et chorégraphies dans quelques mètres carrés de salles de classe. My Brazza, la mise en scène par David Bobée à laquelle nous avons assisté à Colombes, ne fait pas tout à fait partie de celles-là. Il est l’un des rares spectacles de danse créés uniquement pour les écoles. «Durant notre résidence de création dans un collège des Yvelines, nous avons beaucoup échangé avec les élèves. Leurs retours orientaient...
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