En France, les musées d’histoire occupent une nouvelle place sur l’échiquier culturel. En phase avec les préoccupations sociétales contemporaines, ils s’appuient sur des recherches historiographiques profondément renouvelées dans les dernières décennies.
Le musée d’histoire, parfois perçu comme doublement poussiéreux, n’a pourtant rien à envier au musée de beaux-arts. Valérie Guillaume, directrice du musée Carnavalet à Paris, qui depuis sa réouverture en 2021 a reçu plus d’un million de visiteurs par an, souligne « la très forte dynamique générale des musées d’histoire à travers le monde ».
Ceux-ci n’ont cessé de se réinventer au cours des dernières décennies, notamment dans le sillage de la muséologie canadienne. Une institution phare comme le musée de la Civilisation de Québec, façonné par son ancien directeur Roland Arpin et considéré comme le premier « musée de société » (au croisement de l’anthropologie et de l’histoire), cherche depuis ses débuts « à apprendre du passé afin de participer aux préoccupations sociales du présent », annonce son site internet.
Cette façon de penser le rôle social du musée a été une source d’inspiration notamment pour le musée d’Histoire de Nantes (Loire-Atlantique) au château des ducs de Bretagne. Son directeur Bertrand Guillet estime qu’« un musée d’histoire a plus que sa place dans la cité, notamment au regard des enjeux contemporains qui animent nos sociétés ».
Constance Rivière, directrice du Palais de la Porte-Dorée qui abrite le musée national de l’Histoire de l’immigration, à Paris, déclare de son côté : « Les grands musées d’histoire et de société, comme le Mucem à Marseille [Bouches-du-Rhône], les Confluences à Lyon [Rhône] ou le Quai Branly à Paris, complètement connectés aux questions du présent, retrouvent une forme de centralité dans les attentes des publics. »
En plus de se saisir des avancées muséographiques et scénographiques (notamment les dispositifs immersifs) et d’intégrer à leur parcours des créations artistiques, la grande pertinence des musées d’histoire s’explique par leur ancrage dans la société et leur capacité à faire jouer les résonances entre passé et présent.
Pour Constance Rivière, cette connexion est un impératif : « Toutes nos expositions nous aident à comprendre ce qui construit notre collectif, notre commun, notre nous. » L’exposition « Immigrations Est et Sud-Est asiatiques depuis 1860 », dont la commissaire scientifique est la sociologue Simeng Wang, conjugue ainsi dans le même parcours l’histoire des migrations asiatiques en France avec des problématiques sociétales actuelles concernant les descendants, notamment autour de questions de représentation, de discrimination et de racisme ravivées par la crise du Covid.
Ces problématiques font écho à celles explorées par le musée d’Histoire de Nantes. « La collection sur l’esclavage colonial et la traite atlantique, dont Nantes fut le premier port français au XVIIIe siècle, permet de sonder la profondeur historique pour nous ramener ensuite vers des enjeux contemporains, comme les questions de discrimination, mais aussi d’ouvrir sur les phénomènes de mondialisation », explique Bertrand Guillet.
Dans un autre registre, le Museon Arlaten d’Arles (Bouches-du-Rhône), dit « musée de société » depuis sa réouverture en 2021, s’efforce de mettre l’accent sur des thèmes signifiants pour le monde contemporain. « Nos sujets de préoccupation sont forcément différents d’il y a cent ans. On cherche à combler les trous de mémoire sur la vie industrielle du territoire, notamment grâce aux anciens ateliers ferroviaires SNCF », témoigne sa directrice Aurélie Samson.
Le Museon, dont la rénovation a été financée par le Département, a par ailleurs souhaité « trouver un équilibre et préserver des salles emblématiques comme celles des dioramas, en les accompagnant de dispositifs numériques tactiles, et montrer que les traditions provençales font bien partie du monde d’aujourd’hui », précise la conseillère départementale Mandy Graillon.
Histoire globale et nouvelle historiographie
L’histoire comme discipline scientifique reste la matière première d’un musée d’histoire, même s’il est amené à puiser régulièrement dans d’autres sciences humaines. L’avancée des recherches en histoire et surtout le renouvellement de l’historiographie permettent aux institutions de se réinventer ; de repenser leur discours et de réactualiser leur parcours. « L’histoire est une matière vivante et complexe, déclarait en mars 2023 Kléber Arhoul, nouveau directeur du Mémorial de Caen (Calvados), en introduction à la conférence « Comment écrire l’histoire du monde ? » de l’historien Pierre Singaravélou. Un musée d’histoire doit réfléchir sans cesse à la façon dont l’histoire s’écrit. C’est le cas du Mémorial qui revoit chaque jour son parcours. »
Selon Pierre Singaravélou, spécialiste des empires coloniaux français et britannique, de nouvelles approches historiographiques comme l’histoire globale ou connectée, développées depuis une trentaine d’années, ont un profond impact dans le champ historique et remettent notamment en question les « romans nationaux » et les traditionnels récits eurocentrés.
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