Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », réagit à l’opération « La Relève » lancée par le ministère de la culture pour former au management culturel des personnes choisies en dehors du sérail.
Soyons taquins. Depuis le 4 décembre, la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, défend avec émotion son plan, « La Relève », visant à recruter du sang neuf à la tête de lieux culturels. Mais, en un même temps proustien, on ne voit rien venir quant au remplacement de Catherine Pégard, 69 ans, à la tête du Château de Versailles, et de Jack Lang, 84 ans, président de l’Institut du monde arabe.
Ces cas sont différents, il est vrai. L’inoxydable socialiste préside une fondation de droit privé avec le ministère des affaires étrangères pour tutelle et des statuts n’imposant pas de limite à l’âge du capitaine et au nombre de ses mandats. Catherine Pégard, elle, ayant effectué trois mandats et dépassé allègrement l’âge de la retraite, flotte dans un intérim au goût illégal que le président de la République, Emmanuel Macron, entend étirer jusqu’aux Jeux olympiques de 2024. La Cour des comptes s’en est agacée en langage technocratique, l’ancien président François Hollande en des termes plus poétiques : « Un intérim de trois ans, cela commence à être compliqué », a-t-il déclaré dans Le Journal des arts du 30 novembre.
C’est une belle intention de Rima Abdul Malak que de vouloir former 101 directrices et directeurs de lieux culturels échappant à l’entre-soi dominant (homme, urbain, blanc, favorisé, etc.) pour imposer un autre profil (femmes, minorités, ruraux, etc.). Mais Catherine Pégard et Jack Lang traduisent un premier écueil : une nomination culturelle est autant guidée par les compétences que par des ricochets imprévisibles – du chef de l’Etat au maire.
La pression des tutelles
On peut surtout se demander si la ministre n’escamote pas un problème lourd : pourquoi des tas de jeunes ont moins d’appétence qu’il y a trente ans pour les carrières culturelles ; on ne parle pas des créateurs, dont le nombre, lui, a explosé. Il y a crise des vocations parce que c’est devenu un champ de mines. « Plus d’emmerdes, moins de plaisir », résume un vieux briscard, qui se souvient de la légèreté des années Lang, où chaque lieu s’autogérait plutôt bien que mal. Les lieux ciblés par l’opération « La Relève » sont des salles de spectacle et d’autres d’arts visuels, labellisés par l’Etat. Or, ce champ – comme d’autres dans la culture – connaît une lente paupérisation depuis vingt-cinq ans. Moins d’argent, et l’inflation est un facteur aggravant.
Les responsables remplissent tant bien que mal leurs missions. Ils passent une bonne partie du temps à chercher de l’argent, sans être vraiment formés à cela. Ils doivent faire avec plus d’interlocuteurs, de contraintes, de réglementations et « comités Théodule ». Ils doivent affronter les plaintes du personnel – les conflits sociaux sont à la hausse. Alors ils ne comptent pas les heures pour peu d’argent. On les qualifie de pleurnicheurs, ce n’est pas faux, mais injuste aussi. « Tu te lèves avec les banquiers et tu te couches avec les artistes et les techniciens », dit au Monde un patron de salle de spectacle.
Et puis le patron culturel voit son autorité fragilisée. Il doit déjà partager le pouvoir avec le public. Il ne s’agit plus d’afficher une expertise et un programme afin de l’instruire (de vilains mots) mais de le consulter intensément, voire de tenir compte de divers groupes sociaux dans les choix esthétiques. A cela s’ajoute, pour le patron culturel, la pression des tutelles. L’Etat mais surtout des maires et autres élus locaux sont toujours plus interventionnistes. Sans oublier les mécènes, qui ne se contentent plus de donner de l’argent.
Vaste territoire
Bref, le métier est plus complexe qu’avant : savoir articuler au mieux un projet artistique dans un budget contraint avec un personnel vif et un environnement pesant, le tout enrobé d’une dose d’irrationalité propre à la culture. Certains s’en sortent tant bien que mal, en partie grâce à leur réseau patiemment construit, qu’il serait injuste de qualifier de copinage. Un réseau se construit à 14, 16 ou 20 ans, quand, par passion, on court les théâtres, galeries, concerts, festivals, cinémas, librairies. On y va en meute, en troupe, on échange jour et nuit, on se reconnaît, et tout cela est précieux quand, plus tard, on se retrouve à la tête d’une scène nationale ou d’un centre d’art.
On souhaite un peu de courage aux diplômés de « La Relève » s’ils ont juste une « appétence » pour la création, et beaucoup s’ils n’en ont pas, quand ils seront plongés dans la marmite culturelle entre 25 ou 40 ans, la tranche d’âge du projet. Pas sûr que des cours accélérés suffisent. D’autant que les formateurs de « La Relève » seront du sérail culturel, dont le niveau global est devenu médiocre en vingt ans, que ce soit pour gérer l’argent ou le personnel.
Il s’est appauvri, car beaucoup de manageurs culturels vont dans...
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