Ils ont essayé les concerts en streaming, les jauges réduites et ont, aussi, bénéficié d’aides. Mais face aux incertitudes et aux annulations en cascade, les ensembles indépendants cherchent la parade.
Il y a un peu plus d’un an, les ensembles indépendants exploraient avec enthousiasme des répertoires allant du médiéval au contemporain, (re)créaient des œuvres oubliées et d’autres fraîchement composées, plantaient des oasis dans les déserts culturels, et s’exportaient joyeusement dans le monde entier. Fondée en 1999 par neuf formations, la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux (Fevis) en regroupait plus de cent cinquante. Pygmalion, Correspondances, Les Siècles, Les Arts Florissants, Akadêmia… Ces structures légères et dynamiques, championnes de la créativité et de la démocratisation musicales, s’étaient rendues indispensables. Elles partagent aujourd’hui l’accablante impression d’avoir les ailes coupées.
Frappés de plein fouet par la pandémie de Covid-19, les ensembles ont tout fait pour garder la tête hors de l’eau. Dès la sortie du premier confinement, ils ont animé des festivals en streaming vidéo puis en plein air, jonglé avec les demi-jauges et les tests obligatoires lors de la (brève) rentrée culturelle, repris leurs activités pédagogiques partout où elles étaient autorisées, et continué, après le reconfinement automnal, à préparer une reprise qui s’est révélée illusoire. Soutenus par les dispositifs d’urgence qu’a instaurés l’État, pris en compte — avec retard — dans ceux du Centre national de la musique, ils ont réussi à terminer 2020 sans trop de casse. Mais se demandent s’ils survivront à 2021, pour avoir perdu leur source essentielle de revenus : la vente de leurs concerts et spectacles aux salles et festivals français et internationaux, qui leur permettait jusqu’alors de se financer à 70 %. Le mécénat, les subventions du ministère de la Culture et des collectivités territoriales, les aides des organismes de gestion collective (Sacem, Spedidam, Adami) venant compléter des budgets serrés, gérés avec beaucoup de prudence et de système D.
« Les temps mauvais sont à venir », estime Louis Presset, délégué général de la Fevis. Le soutien des mécènes, très présents en 2020, ne sera pas infini. Les subventions publiques, au mieux, stagneront. Les organismes de gestion collective ont moins d’argent à distribuer, et viennent de modifier leurs critères d’attribution, rendant inaccessibles à certains les sommes sur lesquelles ils comptaient pour des projets déjà lancés. Plus grave, les salles restent fermées, et les spectacles prévus en 2021 sont à leur tour annulés ou reportés, embouteillant les saisons à venir dans un saisissant effet domino. « En 2020, les ensembles ont continué à élaborer de nouvelles productions, mais ne peuvent plus les placer. Pour les deux ans à venir, ils n’ont quasiment aucune perspective d’engagement. Et les plus fragiles risquent de disparaître. »
Jusqu’à la fin décembre, les directions artistiques et administratives des ensembles ont serré les dents, et cherché à maintenir le plus d’activité possible. Pas seulement pour éviter que leurs musiciens, intermittents pour la plupart, basculent dans la précarité ou se reconvertissent, mais aussi pour les garder en bonne forme musicale et vocale, et préserver la qualité du son collectif — quitte à devoir jouer les Pénélope, et faire et défaire leurs projets au fil des annulations. Janvier a passé sans rien apporter de neuf ni d’encourageant.
« Le parapluie de 2020 commence à être un peu troué. On aurait préféré une politique de stop and go bien organisée plutôt que ce grand flou. Cela aurait été moins douloureux d’annuler presque toute la saison, et de recourir à l’activité partielle »,regrette Enrique Thérain, délégué général de l’ensemble Les Siècles, orchestre symphonique sur instruments d’époque mis en grande difficulté du fait de la dimension internationale de ses activités. « On travaille à l’aveuglette », constatait début février Mathieu Romano, chef de l’ensemble vocal Aedes. Quant à Clément Mao-Takacs, il cherche toujours, « désespérément », une salle prête à accueillir, en répétition, son Secession Orchestra. « J’ai plusieurs enregistrements à réaliser d’ici à mai, j’ai trouvé le mécène pour les financer, et je n’ai nulle part où les préparer », déplore le chef, qui a pu maintenir son festival morbihannais l’été dernier, démarche activement les institutions, mais se heurte, depuis janvier, à « un mur de silence ».
La tétanie ambiante pèse sur les ensembles, quelles que soient leur taille et leur notoriété, et la Fevis comme le syndicat Profedim (qui représente les producteurs, festivals, ensembles et diffuseurs indépendants de spectacle vivant) diagnostiquent avec inquiétude une nette dégradation de l’état psychologique de leurs adhérents. « On a tous cru qu’on allait courir un sprint, avant de réaliser que ce serait un semi-marathon. Tout le monde est usé », note Nicolas Bucher, président du Profedim.
Usés et, de plus en plus, en colère. Les ensembles reconnaissent volontiers qu’ils ont de la chance d’avoir bénéficié d’un soutien public que leur envient leurs collègues étrangers. Mais le maintien de la...
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