Moins onéreux que les opéras, ces spectacles hybrides occupent l’affiche en nombre cette saison. Certains s’avèrent plus inventifs que d’autres.
Ce mardi 2 novembre au soir, la création à l’Opéra Comique des Éclairs, de Philippe Hersant et Jean Echenoz, viendra confirmer la vitalité actuelle du genre opéra, du moins à en juger d’après la volonté affichée des directeurs de susciter des œuvres nouvelles, et la promptitude des compositeurs à répondre à ces commandes. Mais quels compositeurs? Ceux auxquels les grandes scènes font appel, les Kaija Saariaho, George Benjamin ou Pascal Dusapin, sont des figures confirmées, qui se sont déjà fait une place dans l’histoire de la musique. Par choix ou par défaut, les plus jeunes se tournent aujourd’hui vers un genre intermédiaire que l’on appellera par commodité le théâtre musical. Notion floue, mais qui rappelle que les inventeurs de l’opéra, vers 1600 à Florence, avaient déjà dans l’idée de ressusciter la tragédie grecque.
Jugé d’un coût exorbitant à notre époque où l’art doit aussi se soucier de rentabilité, l’opéra fait une place de plus en plus grande à ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les «petites formes». Des salles parisiennes comme l’Athénée ou les Bouffes du Nord s’en sont même fait une spécialité. Les Bouffes en proposant des variations contemporaines sur les grands classiques (Mimi, nouveau regard jeté par Frédéric Verrières sur La Bohème, ou la bouleversante appropriation de La Traviata par Judith Chemla). À l’Athénée, Patrice Martinet a su bâtir une forte identité musicale en découvrant des compagnies spécialisées, soit dans la remise au goût du jour de répertoires légers (Les Brigands, Les Frivolités parisiennes), soit dans l’invention de nouvelles formes sonores et visuelles. On pense au Balcon, ce collectif fondé par le charismatique Maxime Pascal, et dont les compositeurs maison Arthur Lavandier, Frédéric Blondy et Pedro Garcia-Velasquez créent des formats différents à chaque fois: récemment encore Words and Music d’après Beckett, ou Au cœur de l’océan sur un texte original d’Halory Goerger, grand amoureux des mots. Ils ont aussi inventé leur modèle économique, afin de faire tourner leurs spectacles.
La voix et le mot
Le théâtre musical n’est en rien nouveau. Né dans les années 1960, il a fleuri dans les années 1970, en réaction à une méfiance généralisée contre le genre opéra, jugé dépassé. C’est l’époque où Pierre Boulez préconisait de «faire sauter les maisons d’opéra». En ont résulté des expérimentations relevant parfois du happening, même si certains créateurs comme Mauricio Kagel ou Sylvano Bussotti ne se sont pas démodés. Fort de son art d’entremêler la voix et le mot, Georges Aperghis a fondé en 1976 l’Atem, structure qui existe toujours sous la dénomination T&M, dirigée par Antoine Gindt depuis 1997. On doit à ce dernier une quantité impressionnante de créations qui ont tourné en France et à l’étranger, tant dans la relecture de piliers du répertoire (Ring Saga, habile réduction de la tétralogie de Wagner), que dans la création d’œuvres marquantes comme Massacre, de Wolfgang Mitterer ou Aliados, de Sebastian Rivas. En plein confinement, T&M a réagi en lançant un projet d’opéra filmé, Rayon N, sur l’histoire du physicien René Blondlot, auteur d’une prétendue découverte scientifique qui s’est révélée une coquille vide: toute ressemblance avec un professeur de médecine marseillais serait évidemment fortuite…
Se pose néanmoins la question de savoir si nous avons affaire à un genre à part entière ou à de l’opéra en miniature
Les promoteurs du théâtre musical sont très attachés à la transmission. Ainsi, dans le cadre de T&M, Antoine Gindt organisera en 2022 une académie de mise en scène spécialisée. Le projet le plus utile et novateur en la matière est celui du percussionniste, compositeur et directeur de troupe Roland Auzet, qui a fondé en 2014 Totem(s) (acronyme pour Théâtre opéra texte et écriture musicale pour le spectacle): à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, il fait se rencontrer compositeurs et auteurs afin d’élaborer un projet ensemble, tant il est vrai que l’essence même du théâtre musical est l’imbrication entre texte et musique, et que chacun ignore souvent tout du travail de l’autre. Un problème qui ne se pose pas pour le génial Heiner Goebbels, qui intègre tous les paramètres de la chaîne de production, de la composition à la ...
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