Le son fait sa révolution avec l’audio 3D, ou binaural, qui permet une meilleure expérience cinématographique et musicale. Le lucratif format Dolby Atmos mène la danse, mais Google et Samsung poussent en cette année 2024 une technologie spatiale concurrente, l’IAMF, libre de droits.
Il s’agit de la nouvelle terre de conquête pour l’industrie musicale. Le son comme dans la vraie vie, qui vous entoure et provient de là où se déroule l’action. Bienvenue dans l’ère de l’audio 3D, appelé aussi son spatial ou binaural. Plates-formes de streaming, maisons de disques, fabricants d’appareils audio… chacun veut se différencier en proposant ce son immersif. Orange a lancé, le 11 avril, un nouveau décodeur télé (TV 6) compatible Dolby Atmos. Apple Music avait proposé, deux mois plus tôt, de rehausser la rémunération pour les artistes qui proposeraient leurs titres en son 3D, à la grande fureur des labels indépendants.
Si Dolby Atmos est le format de son spatial le plus répandu dans le monde, il devra composer en 2024 avec un nouveau venu : le son immersif, appelé IAMF (Immersive Audio Model and Formats), que promeuvent, notamment, Google-YouTube et Samsung sous forme de logiciel libre. Toutes les conditions sont réunies pour une bataille du son spatial, au moment où il se démocratise auprès du grand public, de la musique aux livres audio en passant par les podcasts, sur tous les appareils capables de restituer de l’audio, à la maison, en mobilité, au cinéma ou en concert.
Cent quarante-trois ans après la première diffusion en stéréo – le « théâtrophone » du Français Clément Ader (1841-1925) – et un siècle après le brevet de stéréophonie – déposé par l’Américain Franklin Doolittle (1893-1979) –, le son spatial, aux effets tridimensionnels (3D), se démocratise. Même le co-inventeur du MP3, Karlheinz Brandenburg, a cédé aux sirènes de l’Audio AR (une autre appellation, qui se réfère à la réalité augmentée).
Pourtant, le son spatial ne date pas d’hier. La quadriphonie, appelée aussi tétraphonie, a tenté une percée dans l’analogique des années 1950 à 1970, avant d’être abandonnée. Autre échec commercial : le format Super Audio CD pour disques optiques numériques, développé à la fin des années 1990 par Sony et Philips, permettant du son multicanal dit « surround ».
Outil de navigation
A l’exception du marché du home cinéma, l’aventure s’est arrêtée il y a quinze ans. « Nous ne pensons pas que l’application principale de cette technologie soit la haute-fidélité, ce qui expliquerait l’échec des tentatives précédentes. Spatialiser le son le transforme et certains mélomanes trouvent que cela le dégrade », explique Philippe Le Borgne, PDG cofondateur de RunBlind, une start-up française spécialisée dans le son binaural utilisé comme un outil de navigation pour guider l’utilisateur dans ses déplacements par la musique qu’il écoute, une technologie destinée notamment aux malvoyants. Des capteurs de mouvement de tête (« head tracking ») sont intégrés à des écouteurs, des lunettes ou des oreillettes connectés.
Quand bien même les puristes y verraient une dégradation sonore par rapport à la stéréo hi-fi, le son spatialisé est en passe de faire oublier ses échecs passés. Une multitude d’équipements high-tech en sont désormais pourvus pour écouter de la musique, des podcasts ou des livres audio. L’effet tridimensionnel immersif ajoute la verticalité à l’horizontalité du son (multicanal à cinq voies, dit 5.1, ou à sept voies, dans le cas du 7.1).
« C’est grâce à mes écouteurs sans fil AirPods, capables de restituer le son spatial, que j’ai découvert la musique en Dolby Atmos sur Apple Music. Depuis lors, je ne peux plus m’en passer. La musique m’enveloppe littéralement, en mode “fixe” ou bien en “suivi de tête” – la provenance du son se faisant alors en fonction de l’orientation de ma tête. Mais les titres ne sont, hélas, pas tous en audio 3D », témoigne Quentin, un Toulousain de 25 ans, rappeur à ses heures.
Le fabricant d’iPhone indique que « plus de 90 % des auditeurs d’Apple Music ont fait l’expérience de l’audio spatial, et les écoutes de musiques disponibles dans ce format ont plus que triplé au cours des deux dernières années ». Et assure que son logiciel de mixage Logic Pro (229,99 euros la licence) permet aux labels et aux artistes indépendants d’exporter leurs mixages audio spatial en fichier ADM (Dolby Atmos).
Si les formats 3D audio ne manquent pas, comme le 360 Reality Audio du japonais Sony ou le DTS : X de l’américain Xperi, c’est celui lancé il y a une douzaine d’années par la société Dolby Laboratories, de San Francisco (Californie), qui tient, pour l’instant, le haut du pavé.
« Dolby Atmos est une expérience audio immersive pionnière pleinement adoptée par les principaux fabricants d’appareils et des exploitants de salles de cinéma dans le monde. Aujourd’hui, des milliards d’appareils en sont équipés, tels que les smartphones, comme ceux d’Apple et de Samsung ; les barres de son et enceintes connectées Sonos, le HomePod d’Apple, l’Echo Studio d’Amazon ; des téléviseurs comme Samsung, LG ou Sony ; des ordinateurs ou des portables des marques Apple, Asus, Dell ou encore Lenovo ; ainsi que les consoles de jeux ou encore les lecteurs de DVD-Blu-ray », énumère John Couling, vice-président du divertissement chez Dolby Laboratories.
Même en voiture
Des exploitants de cinéma, comme l’américain AMC ou le français Pathé (ex-Pathé-Gaumont), utilisent aussi le son Atmos pour des milliers de salles, auxquelles s’ajoutent des centaines d’emplacements Dolby Cinema – un concept de salles de cinéma immersives offrant du son Dolby Atmos, de l’image Dolby Vision et des fauteuils inclinables.
Numéro un mondial du son spatial, le groupe américain, dirigé depuis quinze ans par Kevin Yeaman, encaisse d’importantes redevances de ces exploitations sous licence. Même le secteur de l’automobile roule en son spatial, comme chez Mercedes-Benz, Volvo, Polestar (division luxe de Volvo), Lotus, Lucid Motors (voitures électriques américaines) et d’autres.
L’essor des plates-formes de streaming contribue largement à l’appropriation de l’audio spatial. Dans la vidéo à la demande, Netflix, Disney+, AppleTV+, Amazon Prime Video, Paramount+, ou encore la plate-forme Max (ex-HBO Max-Discovery+), qui arrive en Europe d’ici à l’été, ont craqué pour Atmos. Il en va de même pour la musique en ligne avec Amazon Music, Apple Music et Tidal (à la fois Dolby Atmos et 360 Reality Audio de Sony). Même Audible d’Amazon édite depuis un an des livres audio et des podcasts en Atmos.
En revanche, la plate-forme française Deezer a abandonné, fin octobre 2022, son offre spatiale « 360 by Deezer », fondée sur un partenariat avec Sony, sans la remplacer, se contentant d’offrir un son hi-fi sans perte de qualité avec le format FLAC (Free Lossless Audio Codec), en open source et gratuit. « Nous avons décidé de mettre fin à cette phase d’essai, en partie à cause des défis techniques et administratifs liés à la maintenance d’une application musicale distincte », explique un porte-parole de Deezer.
Quant à l’autre plate-forme française, Qobuz (détenue par la société Xandrie), réputée pour sa qualité hi-fi au format Hi-Res, elle avait adopté en août 2022 la technologie THX Spatial Audio. Ce format audio immersif à 360 degrés a été développé à l’origine pour le studio de cinéma Lucasfilm, la société de George Lucas. Mais Qobuz a finalement renoncé au son spatial. « Nos clients, plus âgés que la moyenne du marché, plus de 40 ans, urbains et CSP+, ne nous le demandent pas », explique Georges Fornay, directeur général adjoint de Qobuz.
« Dans le cinéma et la télévision, tous les grands studios hollywoodiens continuent de sortir des films en Dolby Atmos pour distribution en salle et à domicile. Cela inclut certains des plus grands blockbusters de l’année écoulée comme Barbie. Et, dans la musique, plus de vingt plates-formes de streaming et plus d’un millier de studios d’enregistrement ont activé Dolby Atmos dans le monde », indique John Couling chez Dolby Laboratories.
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