Pour faire face à la hausse du coût du gaz et de l’électricité et contribuer aux efforts de sobriété, musées, châteaux, cinémas, théâtres et salles de concerts essaient de réduire leur consommation.
Depuis vendredi 23 septembre, la tour Eiffel cesse de scintiller à 23 h 45, au lieu de 1 heure du matin. La décision, qui a valeur de symbole, entre dans le plan de sobriété énergétique annoncé par la maire socialiste (PS) de Paris, Anne Hidalgo, visant à réduire la facture de la ville de 10 % cet hiver, et qui concerne aussi de nombreux bâtiments patrimoniaux. Au Louvre, depuis le 16 septembre, la pyramide s’éteint à 23 heures et la façade du château de Versailles à 22 heures. Dans une circulaire du 25 juillet, la première ministre, Elisabeth Borne, appelait toutes les administrations à « engager sans délai des mesures d’ampleur visant à réduire la consommation d’énergie ».
Avec ses bâtiments souvent spacieux, qui accueillent du public parfois sept jours sur sept et jusque tard dans la nuit, le secteur de la culture, déjà fragilisé par la crise sanitaire, a vu la charge de sa consommation énergétique augmenter de manière inquiétante depuis que la guerre russo-ukrainienne a fait monter en flèche le coût du gaz et de l’électricité.
La décision de la municipalité Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Strasbourg de fermer les musées de la ville deux jours par semaine, en plus d’une fermeture entre 13 heures et 14 heures, a suscité de vives critiques. Lors de sa présentation du budget 2023 pour la culture, le 26 septembre, la ministre Rima Abdul-Malak s’est dite opposée à cette solution. « La sobriété ne passe pas par “moins de culture” mais par une adaptation au cas par cas tout en restant au service du public », défend-on Rue de Valois. Un credo que fait sienne la maire (PS) de Lille, Martine Aubry, qui refuse les fermetures préférant baisser la température à 18 °C dans les établissements publics (pour une réduction attendue de la consommation électrique de 7 %).
Ce sera également « au cas par cas » que sera répartie la nouvelle enveloppe de 56 millions d’euros prévue pour aider les lieux subventionnés à faire face à la crise énergétique cet hiver. « Il ne s’agit pas d’une compensation automatique générale mais d’un soutien partiel. Il sera attribué suivant l’état de la trésorerie des établissements et la nature plus ou moins énergivore de leurs bâtiments », précise le ministère. Pour le moyen et le long terme, il dispose d’une ligne budgétaire de 663 millions d’euros pour des travaux d’investissement, qui iront en priorité à l’isolation thermique et à l’amélioration énergétique des bâtiments, a précisé la ministre, citant l’exemple du Musée d’Orsay, qui, après avoir équipé ses espaces en LED, a économisé un tiers de sa consommation électrique en trois ans.
Géothermie et bois
A Versailles où les dépenses annuelles en énergie ont été, en 2021, de 2,8 millions d’euros, la consommation a été réduite de 38 % grâce au même dispositif. Au Louvre, des mesures d’économies avaient été décidées, dès 2018, avec l’objectif de diminuer les consommations énergétiques de 10 % en cinq ans. Dans les salles, où l’éclairage est assuré par des ampoules basse consommation, une température constante est maintenue pour protéger les œuvres, entre 19 °C et 21 °C selon leur fragilité.
Renégociation des contrats, restriction de l’éclairage, réduction des plages d’ouverture, baisse de la température, investissement dans des énergies alternatives… Chacun essaie de trouver des solutions pour contribuer à l’effort de sobriété et continuer à fonctionner sans mettre ses finances en péril.
Au domaine de Chambord (Loir-et-Cher), il n’a pas été nécessaire de régler le thermostat « vu que le château n’est pas chauffé », précise son directeur général, Jean d’Haussonville. Seuls les locaux administratifs, la billetterie, la boutique et les bâtiments techniques le sont « en respectant le seuil maximal de 19 °C ». La mise en lumière de la façade s’arrête désormais à minuit. La facture pour 2022 atteindra toutefois 415 000 euros au lieu de 280 000 euros en 2021. Une réflexion est menée pour passer à un chauffage géothermique et par copeaux de bois. Chambord est, en effet, doté d’une forêt de 5 000 hectares. Déjà engagé dans un plan de transition énergétique, le domaine a décidé d’en accélérer le rythme, avec notamment des installations d’ombrières solaires pour remplacer les bornes électriques du parking.
Anne Miller, administratrice générale du domaine de Chantilly : « Les technologies ont évolué, sont moins énergivores. Il faut raison garder, ne pas renoncer à tout ! »
Au château de Chantilly (Oise) aussi, entouré d’une forêt de 7 800 hectares, le bois est une des pistes pour réduire les frais générés par le chauffage et l’électricité : 1,3 million d’euros cette année au lieu de 600 000 euros en 2021. Spécificité de ce château, son impressionnante collection de tableaux. « Pour réduire notre consommation, il nous faut réussir à corréler enjeu patrimonial et enjeu énergétique », indique Anne Miller, administratrice générale du domaine.
L’avantage des murs épais est de limiter en été les besoins en climatisation, mais la conservation des œuvres oblige à maintenir une température de 20 °C. Classé monument historique, le bâtiment ne peut pas être isolé ni par l’intérieur ni par l’extérieur. Pas question pour le moment d’interrompre l’éclairage extérieur la nuit : « On ne peut pas le faire pour des raisons de sécurité, mais c’est un éclairage LED peu gourmand en énergie », précise Anne Miller. Pas question non plus d’arrêter les spectacles de son et lumière : « Les technologies ont évolué, sont moins énergivores. Il faut raison garder, ne pas renoncer à tout ! »
Mesures de bon sens
Du côté des cinémas, gros consommateurs en énergie (projecteurs, éclairage, climatisation, chauffage), la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) a publié, le 21 septembre, des recommandations. La facture représente 5 % à 10 % du chiffre d’affaires des salles, selon leur taille et leur ancienneté.
La FNCF appelle ses adhérents à « réguler les horaires d’ouverture en fonction des flux de public ». « De 2010 à 2019, le nombre de séances est passé de 6 millions à 8,6 millions. Actuellement, avec la baisse de 30 % de la fréquentation, certaines se déroulent avec très peu de spectateurs, constate Marc-Olivier Sebbag, délégué général. Il faut trouver le bon équilibre par rapport aux coûts. » « La multiplication des séances peut avoir une raison d’être dans certains endroits mais dans la plupart des cas, c’est un contresens. Le plan d’économies d’énergie doit encourager le secteur à réajuster cette offre », ajoute François Aymé, président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai.
La FNCF recommande également des mesures de bon sens : éteindre les enseignes des cinémas lorsqu’ils ne sont pas ouverts, arrêter la climatisation s’il fait moins de 26 °C dehors, éteindre les projecteurs dans les salles qui n’ont pas de spectateurs, etc.
Certains propriétaires de salles n’ont pas attendu la crise pour mettre en place des mesures. Dès 2016, seize cinémas indépendants parisiens ont entrepris de mutualiser leurs dépenses énergétiques et se sont engagés à utiliser au moins 30 % d’énergie verte.
D’autres réflexions sont menées. « Nous sommes à la recherche d’entreprises susceptibles de recycler les lampes xénon [utilisées pour les projecteurs] qu’aujourd’hui nous préférons stocker plutôt que de laisser dans la nature », explique Nathan Bouam, directeur technique du cinéma Le Grand Action, à Paris. « L’été dernier, nous avons installé des pompes à chaleur avec recyclage de l’air intérieur et refait deux cabines sur trois, avec isolation thermique et ventilation naturelle. »
Chaleur humaine
Pour les salles de concerts, très gourmandes en électricité, réviser le mode de fonctionnement est également une nécessité. Le club de jazz parisien Sunset/Sunside, avec sa capacité d’accueil d’une centaine de personnes dans ses deux salles, fait la chasse aux dépenses depuis plusieurs mois. « Nous avons investi dans des lampes à basse consommation, des détecteurs de mouvement dans la partie loge, les bureaux, les toilettes, détaille le directeur, Stéphane Portet. Si les coûts énergétiques augmentaient de manière importante, la première solution serait d’ajouter 2 euros ou 3 euros au prix d’entrée, mais on est déjà à la limite. Baisser les cachets, on est déjà très bas, ce n’est pas envisageable. » Le principal poste de consommation est la ventilation. « Avec notre petite surface, en hiver nous chauffons peu, la chaleur humaine a un impact évident », ajoute Stéphane Portet.
« En ce moment, c’est le flou pour tout le monde », explique Daniel Colling, à la tête de trois Zénith
Pour Thierry Pilat, directeur général de la Halle Tony Garnier qui appartient à la ville de Lyon, le recours à cette « chaleur humaine » est impossible, avec les 24 mètres de haut de l’équipement et sa capacité d’accueil de 17 000 personnes. Si la facture de gaz n’a pas encore évolué, celle d’électricité a été renégociée au printemps. « Pour la saison à venir, ce sera de l’ordre de 200 000 euros en plus, indique-t-il. Si les périodes de canicule commencent plus tôt et sont plus longues, cela va devenir compliqué. Dans la grille de location de la salle aux producteurs, il y a un forfait électricité-chauffage qui a été revu à la hausse, mais nous ne pouvons pas en faire porter tout le poids sur eux. »
En effet, pour les structures de productions, les coûts ont aussi augmenté avec l’inflation. « La profession mène en ce moment des discussions entre responsables des salles, propriétaires, fournisseurs d’énergie et producteurs, précise Daniel Colling, à la tête de trois Zénith (Paris, Nantes et Toulouse). Pour les mois à venir, les contrats ont déjà été établis, les billets déjà mis en vente, parfois avec un an d’avance, à des prix qu’on ne peut pas changer. »
Pour les Zénith ou d’autres salles en délégation de service public, les tarifs de location sont encadrés et leur augmentation calculée, une fois dans l’année, en fonction de l’inflation. Sur le plan énergétique, chacun des trois équipements bénéficie d’un contrat à prix fixe pour l’électricité, dont l’échéance variera entre décembre 2023 et 2024. « Nous pourrions solliciter l’aide du Centre national de la musique, comme pour la pandémie. En ce moment, c’est le flou pour tout le monde », résume Daniel Colling.
« Des économies à la marge »
Avec ses deux lieux, Bastille et le Palais-Garnier, d’une surface de plus de 185 000 mètres carrés, l’Opéra de Paris se confronte à des chantiers à sa démesure.
« La consommation d’électricité correspond à celle d’une ville de 8 000 habitants », souligne Martin Ajdari, directeur général adjoint. Déjà, entre 2010 et 2020, elle a été réduite de 15 % grâce notamment à l’utilisation de LED. Des compteurs ont été aussi installés pour la diminuer. La question des « passoires thermiques » est à l’étude, avec en première ligne la façade vitrée de Bastille.
Des initiatives sont également lancées sur tous les fronts à Chaillot-Théâtre national de la danse, à Paris. L’éclairage y est déjà majoritairement produit à partir de LED, la température dans les bureaux et les espaces publics a baissé pour atteindre 19 °C. « Sauf dans les studios de danse où nous travaillons à obtenir une adaptation pour les interprètes, précise Réda Soufi, administrateur général. Nous sommes en train d’élaborer un plan de sobriété pour faire 10 % d’économies sur l’énergie dès cet hiver et nous désengager totalement des énergies fossiles dès 2025. » L’horizon 2025 correspond à la fin du chantier de la réfection de la salle Jean-Vilar qui va permettre de faire une économie de 400 000 euros sur les 800 000 euros d’augmentation causés par la crise énergétique. Chaillot sera déconnecté de l’énorme chaudière à gaz qui chauffe tout le Palais du Trocadéro et utilisera des pompes à chaleur réversible.
« Si nous ne pouvons pas bénéficier d’une aide supplémentaire, on va devoir réduire la voilure,
et l’effet domino risque d’être redoutable pour les compagnies », alerte Benoît André, directeur de La Filature de Mulhouse
Au Théâtre-Sénart, scène nationale, à Lieusaint (Seine-et-Marne), dont le bâtiment de 12 000 mètres carrés a été inauguré en 2015, Jean-Michel Puiffe, son directeur, se souvient qu’« il a fallu se battre » pour obtenir l’installation d’un récupérateur d’eau pluviale. « Pendant des années, on a buté sur un problème d’investissement et de responsabilité écologique, constate-t-il. Pourquoi ne pas poser des panneaux solaires sur les toits des théâtres et installer, comme on l’a fait à Sénart, des détecteurs de présence pour l’éclairage ? »
A La Filature de Mulhouse (Haut-Rhin), scène nationale, le directeur, Benoît André, fait face à une situation kafkaïenne. Il s’est vu proposer par EDF un devis six fois supérieur à sa facture annuelle actuelle, la portant de 107 000 à 685 000 euros, ce qui ferait passer le poste chauffage à plus de 10 % du budget global. Benoît André sait que les scénarios classiques...
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