Devant le recul des gros donateurs, les lieux culturels misent sur les entreprises plus petites et la souscription publique.
Depuis l’annonce du résultat des élections législatives, dimanche 7 juillet, les professionnels du mécénat sont soulagés. « Notre petit monde s’inquiétait beaucoup », avoue François Debiesse, président de l’Admical, l’association pour le développement du mécénat, redoutant que, d’un pôle à l’autre de l’échiquier politique, on ne malmène « la loi Aillagon de 2003, la plus favorable au monde pour le mécénat ».
Cette loi, qui porte le nom de l’ancien ministre de la culture de Jacques Chirac, instaure des déductions fiscales importantes pour les particuliers et les entreprises pour des dons effectués au profit de structures d’intérêt général et, en particulier, d’organismes culturels. Le dispositif prévoit aussi des avantages, comme une privatisation du lieu ou des visites guidées triées sur le volet, en sus de la réduction d’impôt.
En 2022, La France insoumise avait dit vouloir la disparition de ce cadre juridique. « Côté RN, [Rassemblement national] le même risque existait, même s’il n’était pas explicite », poursuit M. Debiesse. Il prévient déjà : « Un matraquage excessif des entreprises et des gens fortunés serait dommageable pour les causes d’intérêt général », et il croise les doigts pour que la France soit gouvernée par « une coalition de gens sensés ».
Dans la même veine, « toute altération de cette loi aurait des conséquences très négatives, met en garde Martin Ajdari, directeur adjoint de l’Opéra de Paris. Et s’il faut compenser les pertes par plus de subventions, cela coûtera plus cher au contribuable. » Ce qui n’est pas prévu par Bercy, qui a exigé du ministère de la culture de sabrer, cette année, 200 millions d’euros de crédits au patrimoine et à la création. Et de nouvelles coupes se profilent en 2025.
Aux deux extrémités de l’échiquier politique, il est surtout question de combattre les niches fiscales. « Mais le mécénat n’est pas une “niche”, c’est une dépense, puisque le mécène donne plus qu’il ne reçoit », s’agace l’artisan de cette mesure, Jean-Jacques Aillagon. Lui ne veut pas croire au détricotage de sa loi, qui avait déjà été recadrée en 2019. Pour prévenir les excès d’un dispositif qui avait coûté 900 millions d’euros environ à l’Etat en 2017, le gouvernement avait alors fait voter une baisse du taux de réduction d’impôt de 60 % à 40 % pour les versements supérieurs à 2 millions d’euros. « C’est retombé sur le coin de leur tête dès l’année suivante, au moment du Covid-19 », affirme l’ancien ministre, rappelant que la pandémie a rendu encore plus criants les besoins en mécénat.
Tableau contrasté
Pendant plus de vingt ans, la culture s’est imposée très largement en tête des causes choisies par les entreprises mécènes. Mais, à chaque crise, l’élan a reculé d’un cran, après les émeutes dans les banlieues, en 2005, puis le krach financier de 2008. Le soutien privé à la culture a, depuis, été distancé par d’autres urgences, liées à la décrépitude du service public en matière d’éducation et de santé. La pandémie liée au Covid-19 a fini de précipiter la dégringolade.
Les chiffres de l’Admical sont sans appel : la culture représentait 52 % des dons en 2005 contre 37 % en 2021. « Entre 2008 et 2010, en raison de la crise financière, on a alors perdu un tiers des entreprises mécènes et 25 % en volume de mécénat », complète François Debiesse. L’inflation et les incertitudes politiques réduisent les appétits de dépense des entreprises. Sans oublier les Jeux olympiques, qui ont siphonné la manne privée. « On n’est plus prioritaire », résume Malika Seguineau, directrice générale d’Ekhoscènes, le syndicat des entrepreneurs du spectacle vivant privé.
Le tableau est certes contrasté. Patrimoine et musées continuent à aspirer l’essentiel des dons. « On touche un grand public et nos espaces offrent d’indéniables atouts en matière de contreparties », reconnaît Sylvie Corréard, directrice générale des Arts décoratifs, à Paris. Avec son fastueux dîner de gala dans le grand foyer qui attire le Tout-Paris des affaires, l’Opéra de Paris a engrangé 23 millions d’euros de mécénat en 2023, soit 5 millions de plus qu’en 2022. L’aura du Louvre séduit toujours les grandes fortunes. Le musée le plus visité au monde a reçu un gros chèque de l’armateur CMA CGM (5 millions d’euros, selon Les Echos) pour l’aménagement de son futur département autour des chrétiens d’Orient ; le patron du géant marseillais du transport maritime, Rodolphe Saadé, avait plus discrètement contribué à la restauration du bassin d’Apollon au château de Versailles.
Après avoir accumulé près de 8 millions d’euros de mécénat pour la restauration du site Richelieu, la Bibliothèque nationale de France (BNF) craignait de voir les donateurs s’envoler. Plus facile, en effet, de faire les poches des grandes fortunes pour des grands travaux que pour la programmation. En 2023, l’établissement les a toutefois retrouvés autour de l’achat d’un bréviaire à l’usage de la Sainte-Chapelle, réalisé vers 1370 pour le roi de France Charles V, d’un montant de 1,6 million d’euros, financé à 90 % par le mécénat.
Exigences et ingérence
Pour autant, même pour les poids lourds nationaux, rien n’est acquis. Chaque aide est soupesée, d’autant plus que l’exigence des donateurs grandit et s’amplifie. Quoique plafonnées à 25 % de la valeur de leur contribution, les contreparties pèsent dans la balance. Chaque salle de spectacle prend soin de ses deux ou trois rangées de fauteuils réservés, ces fameux « rangs protocolaires » où sont placés les grands mécènes. Ces derniers réclament aussi un minimum d’exclusivité. Difficile d’imaginer un mécénat de Chanel pour une exposition abritée à l’Orangerie du château de Versailles, qui prolonge le bosquet de la Reine restauré par Dior.
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