Kylian Mbappé, Riad Sattouf, Joël Dicker ou Eric Zemmour, assurés de vendre des centaines de milliers d’exemplaires, ont fait le choix, libre ou contraint, de s’autoéditer. Un phénomène qui fait trembler le monde de l’édition.
Analyse. Coup sur coup, plusieurs personnalités ou auteurs de best-sellers succombent aux sirènes de l’autoédition ou de l’autopublication. Ils se passent des services d’une maison d’édition pour fonder la leur, ou parient – volontairement, ou bien contraints et forcés – sur une indépendance éditoriale. Coïncidence fortuite ? En tout cas, l’arrivée de telles signatures, synonymes de centaines de milliers de ventes, bouleverse la donne et devrait inciter les maisons d’édition à se repenser.
Dernier en date, le joueur de football Kylian Mbappé a sorti, le 11 novembre, son premier roman graphique, Je m’appelle Kylian (KM Editions, 220 p., 19,95 €), cosigné avec le dessinateur de presse et de bandes dessinées Faro, et tiré à 300 000 exemplaires. L’attaquant du Paris-Saint-Germain, n’ayant pas trouvé d’éditeur pour mener à bien son projet, a monté sa propre structure, KM Editions.
Toujours dans la bande dessinée, Riad Sattouf, l’auteur à succès de la série L’Arabe du futur (Allary Editions), a créé sa propre maison d’édition, Les Livres du futur, et y a publié, le 4 novembre, le premier tome d’une trilogie, Le Jeune Acteur 1. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma (140 p., 21,50 €). Un titre qui se classait dès sa parution en deuxième position des ventes de BD, derrière le dernier Astérix en date. L’auteur a toutefois réservé les trois prochains épisodes de L’Arabe du futur et des Cahiers d’Esther, ainsi que trois intégrales de ces deux séries, à son actuelle maison d’édition indépendante, Allary.
Ruptures et bannissements
L’écrivain suisse Joël Dicker, dont les ouvrages se vendent aussi par centaines de milliers d’exemplaires, a quitté en mars les Editions de Fallois, après le décès du fondateur de cette maison, également indépendante, pour monter son entreprise. «Je dois tout à Bernard de Fallois, et j’ai toujours dit qu’il n’y aura pas d’autre éditeur après lui. J’ai donc fait le choix de créer ma propre structure éditoriale, qui verra le jour le 1er janvier 2022», avait alors déclaré l’auteur de L’Enigme de la chambre 622. Sous le label Rosie & Wolfe, Joël Dicker publiera ses romans et ceux de certains confrères. Les éditeurs sont-ils donc frileux ? Plus assez attirants ? Ne paient-ils pas suffisamment leurs auteurs pour que ces derniers s’en aillent ?
Parfois, la rupture peut être aussi idéologique. Le potentiel candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, a publié mi-septembre un pamphlet, La France n’a pas dit son dernier mot, dans sa propre maison d’édition, Rubempré. Il a dit avoir été contraint à ce choix après la rupture de son contrat par son éditeur, Albin Michel. Ce dernier a refusé de le publier, en jugeant que «l’auteur comptait faire de ce livre le point de départ de sa campagne électorale».
Plusieurs auteurs d’extrême droite se sont aussi déjà autoédités, parce qu’ils ne trouvaient plus d’éditeurs pour endosser leurs idées. C’est le cas de Renaud Camus, théoricien de la doctrine raciste et complotiste du «grand remplacement», ou de l’ex-directeur national du Front national de la jeunesse, Julien Rochedy.
Autre exemple de bannissement, Gabriel Matzneff, visé par une enquête pour viols sur mineurs de moins de quinze ans, a été lâché par ses éditeurs, Gallimard en tête, après la sortie du Consentement, de Vanessa Springora (Grasset, 2020). En riposte, le romancier a sorti, en février, Vanessavirus, autoédité en France et financé par des souscripteurs privés. Réponse de la bergère au berger, L’Arme la plus meurtrière, également autoédité, est paru le 23 septembre sous la plume de Francesca Gee, qui accuse Gabriel Matzneff de l’avoir violée quand elle avait 15 ans.
Révolution en marche
Si tous ces noms connus braquent les projecteurs sur l’autoédition, ces volontés d’indépendance des auteurs donnent des sueurs froides aux maisons d’édition, aux plus petites notamment, les plus fragiles. «Si tous les grands vendeurs de romans et de BD s’y mettent, le modèle de l’édition va basculer», a prévenu Guillaume Allary, fondateur de la maison qui porte son nom, lors du colloque Médias en Seine, le 12 octobre. L’exemple américain montre que cette révolution est en marche depuis longtemps. Dès 2014, aux Etats-Unis, le nombre de livres autoédités a dépassé celui des ouvrages publiés par des éditeurs. Amazon y domine ce secteur, en devançant de très loin tous ses concurrents.
En France aussi, pour les écrivains, une telle tentation existe, puisque leurs droits d’auteur accordés par les éditeurs sont limités en moyenne à 10 % du prix du livre. Là où le service d’autoédition d’Amazon leur promet jusqu’à 70 %. Toutefois, l’autoédition peut se révéler être un miroir aux alouettes. Sans relecture de fond ni de forme, ces ouvrages risquent de ...
Lire la suite sur lemonde.fr