Le secteur embauche à nouveau, mais les recrutements ne s’y font pas comme ailleurs : les formations sont rares, et c’est l’expérience déjà acquise par les candidats qui fait la différence. D’autant que les postes à pourvoir sont en pleine mutation.
Enfin une bonne nouvelle dans le sombre tableau de la musique. Malgré une année 2020 sinistrée pour le spectacle - les projets repoussés ou annulés, et l’absence de revenus qui en a découlé -, le secteur continue d’embaucher, sur la lancée d’une embellie remarquée depuis environ cinq ans. Son cœur d’activité, celui dédié à l’enregistrement et à la production musicale, en profite tout particulièrement. Labels - autant majors du disque qu’indépendants -, éditeurs, distributeurs… tous ont besoin de bras, mais surtout de têtes et d’oreilles bien faites pour leurs fonctions vitales : repérage d’artistes, création, distribution, promotion et marketing des œuvres produites.
«Je reçois environ 1 000 candidatures spontanées par semaine, dénombre Claude Monnier, DRH de Sony Music France, l’une des trois majors. Cela reste une petite industrie, avec peu de postes à pourvoir, la crise de cette année n’arrangeant rien. Mais il y a toujours autant besoin de directeurs artistiques avec du flair, de la chance, de la curiosité, car c’est là notre réacteur nucléaire.» Attention cependant avant de dégainer son CV : le portrait-robot du candidat prisé a sensiblement évolué depuis l’âge d’or du business des années 90. Tous les services nés de la musique en ligne et le mobile ont relancé l’attractivité du secteur auprès de jeunes diplômés qui n’osaient plus s’y aventurer il y a une dizaine d’années de peur de rester sur le carreau.
«Une personnalité qui colle au secteur»
Une chose est sûre : on vient rarement par hasard dans ce milieu professionnel souvent mal connu du grand public. Les élus sortent soit de cursus généralistes (universités, écoles de commerce ou de gestion…), soit des quelques filières spécialisées. «Je croise des personnes de plus en plus jeunes, "digital natives", dynamiques, autonomes… mais avec peu de formations pour répondre à leurs besoins. C’est un milieu plus complexe qu’il en a l’air, qui ne se pratique plus au feeling», constate Cédric Tilèpe, qui a monté les formations courtes Tempo pour artistes entrepreneurs et managers.
Pour les métiers des musiques actuelles, les Formations d’Issoudun se sont imposées avec des formats de cinq jours à plusieurs mois, majoritairement pour la gestion de spectacles. Côté production, l’Emic Paris (Ecole de management des industries créatives) propose depuis 2017 un master unique de manager des industries musicales. «Nous sommes constamment en discussion avec les entreprises (patrons de label, DRH…) pour comprendre les évolutions des métiers et leurs besoins, souligne Daniel Findikian, fondateur et directeur de l’Emic. Comme notre cœur professoral ne se compose que de professionnels en poste, nous adaptons chaque année les programmes pédagogiques.» Ce cycle bac + 5 écrème en amont les étudiants selon leur aptitude à cocher toutes les cases requises. «Comme pour un entretien d’embauche, nous opérons une sélection sur la personnalité pour voir si les traits du candidat collent au secteur. Les entreprises apprécient, car cela permet d’évaluer la capacité à interagir avec des artistes. Une grande partie de ce travail consiste à leur parler, comprendre leurs émotions, celles du public, ce qu’attendent leurs fans… Rien qui s’apprenne dans une école», constate Claude Monnier, le DRH de Sony Music France.
Autrefois reléguées dans la case «hobbies» d’un CV, ces expériences concrètes font aujourd’hui toute la différence. Selon Daniel Findikian, qu’il s’agisse d’avoir «managé un groupe, monté un label, une association, un concert ou un festival», toutes tendent à démontrer une connaissance des ficelles propres à la profession. «Il faut pousser les gens à avoir fait des choses par eux-mêmes», abonde Henri Jamet, directeur des labels de Believe, société française créée en 2005 pour la distribution numérique de musique, devenue au fil du temps maison de disques. Classées dans la catégorie des soft skills (ou «compétences douces»), ces qualités émotionnelles ont aussi amené le candidat à se constituer un carnet d’adresses bien précieux pour son futur poste. «Désormais, on considère que le diplôme n’a pas tant d’importance, et ce qu’a fait la personne dans la dimension du bénévolat, de l’associatif ou du caritatif, pèsera pour plus de 50 % dans la décision de la rencontrer», ajoute Claude Monnier.
L’explosion des métiers du numérique
Aux côtés des anciens métiers de la musique, contraints de se réinventer avec Internet, de nouveaux sont apparus, comme chez Believe, où l’effectif français a bondi à 460 collaborateurs après 248 recrutements en 2020. «Nous sommes une maison de disques, mais surtout une entreprise technologique au service des artistes. Toute une nouvelle génération de postes y est absente des maisons de disques traditionnelles», indique Henri Jamet, le directeur des labels. Avec la profusion de plateformes de streaming et de réseaux sociaux, le Net a multiplié les opportunités de diffusion, et par là même les tâches à accomplir, comme l’a constaté l’Irma, le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles, désormais intégré au tout jeune Centre national de la musique depuis novembre. «Notre plateforme de publication d’offres d’emploi, CNMwork, a vu apparaître tous les nouveaux métiers liés au numérique, que ce soit pour le tracking des droits, la gestion des outils de promotion en ligne, le marketing d’influence… On commence à avoir des annonces avec des intitulés tels que "développeur d’audience" ou "community manager TikTok", essentiellement postées par les majors», note Jérôme Paul-Hazard, chargé de développement formation à l’Irma.
Produire du contenu, générer du trafic pour un artiste à travers une story Instagram, un event TikTok ou un concert sur le jeu vidéo Fortnite, voilà ce qui attend ces équipes. Les données collectées et analysées depuis les écoutes sur Internet représentent aussi un enjeu majeur et sont donc génératrices d’emplois. «Le métier du chef de projet digital consiste à mettre ces data à disposition des artistes pour les servir le mieux possible par notre engagement sur le long terme», souligne Henri Jamet. «Le développement d’audience représente notre deuxième métier stratégique», confirme de son côté Claude Monnier.
Une meilleure diversité
Enfin, la relation au fan, que le numérique a transformée, chamboule les organigrammes des labels. «Nous avons monté une équipe de recherche et développement sur les tendances et la créativité dans les industries culturelles afin d’anticiper les comportements sociologiques des consommateurs ou les formats musicaux de demain. Ce planning stratégique s’appuie sur les data pour faire réfléchir un artiste sur sa créativité, sa carrière… C’est une équipe de femmes aux profils très variables, hybrides, passées par plusieurs vies professionnelles», explique Claude Monnier. Une tendance à la féminisation que confirme Daniel Findikian, avec 55 % de filles parmi ses étudiants.
Cette redistribution des cartes profite à une meilleure diversité générale des talents recrutés. En débarquant de province ou de banlieue, motivation et implication personnelle permettent de marquer des points dans un secteur historiquement...
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