L’IA peut cloner des voix, truquer des arrangements et écrire des textes entiers… Si de nombreux professionnels du secteur musical y voient un risque potentiel pour les vrais artistes, d’autres l’envisagent comme un outil créatif prometteur.
Dans les heures qui suivent, le titre affole la planète. Avant qu’Universal Music, leur maison de disques, n’exige son retrait immédiat. Motif : le morceau est un « deepfake », un trucage imitant les voix des deux stars, réalisé sans leur accord via une intelligence artificielle. Vraie chanson, faux duo ? Le débat s’engage et les Grammys, les oscars de la musique américaine, annonçent retenir la chanson dans leur liste de nominés. Puis rétropédalent, sous la pression des majors, paralysées par une soudaine angoisse : l’intelligence artificielle, appelée aussi IA, serait-elle en passe de remplacer les artistes ?
Seule certitude : avec ce Ghostwriter977, la musique a basculé depuis un an dans une ère de violentes turbulences. De celles qui, par le passé, ont accompagné l’arrivée du synthétiseur, du CD ou, plus tard, du MP3. Avec l’IA, l’industrie musicale croit revivre le virage raté du numérique vingt ans plus tôt, quand des millions d’internautes se détournaient du disque pour s’échanger gratuitement des fichiers musicaux sur la toile. Clonage vocal, mais aussi entraînement des modèles d’intelligence artificielle avec des œuvres protégées par le droit d’auteur, statut des productions créées grâce à l’IA qui inondent les plateformes de streaming… Les motifs d’inquiétude sont légion, semblables à ceux qui rongent le cinéma ou le milieu de l’art.
« Heart on My sleeve est l’œuvre d’un musicien expert en production, mais avant tout d’un humain, qui a écrit les paroles et la musique, avant de passer sa voix au filtre de l’IA », tempère Benoît Carré, musicien et compositeur rompu à l’intelligence artificielle. Il fut d’ailleurs l’un des premiers en France à en faire usage, il y a près de dix ans, dans le cadre d’un laboratoire expérimental de Sony à Paris. « Ce morceau résume le débat actuel : son succès en ligne lui permettrait de revendiquer des droits, une rémunération, mais il repose sur une infraction au droit à l’image des artistes, dont les voix ont été clonées sans leur consentement. » D’où l’anonymat absolu requis par Ghostwriter977.
En réalité, ceux qui, comme lui, se jouent des limites, peuvent encore dormir tranquille. L’UE est en passe de voter ces jours-ci son AI Act, un texte qui entend notamment imposer un devoir de transparence sur les données utilisées pour nourrir l’IA. « On va vers le mieux », concède Alexandre Lasch, patron du Snep, qui défend les intérêts des producteurs de disques, inquiets. La France commence à prendre la mesure du phénomène, après le rapport rendu par la commission sur l’intelligence artificielle.
Révolte chez certains musiciens
En attendant, les artistes se mobilisent. Début avril, une lettre signée par deux cents musiciens anglo-saxons, dont la pop star Billie Eilish, les rockeurs d’Aerosmith ou Stevie Wonder, appelait à cesser d’utiliser l’IA sans le consentement des artistes, tout en reconnaissant ses potentiels créatifs. Devant le Congrès américain, la musicienne anglaise FKA Twigs a martelé « l’importance d’une législation visant à protéger la voix et l’apparence des artistes, l’art et la propriété intellectuelle contre l’utilisation abusive des deepfakes et de l’IA ».
Une mobilisation nouvelle, pour une technologie qui ne l’est pas. « Depuis des années, on se sert de l’IA sous forme de petits programmes informatiques, pour produire des morceaux », rappelle Benoît Carré. C’est grâce à ce genre d’outil que Now and Then, titre ultime des Beatles, a pu voir le jour il y a quelques mois. Mais avec les avancées fulgurantes de l’IA générative, imiter les productions humaines n’a jamais été aussi facile. Chat GPT pour les textes, Midjourney pour les images… En musique, le logiciel Suno est l’un des plus en pointe.
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