Alors que la culture est l’une des grandes sacrifiées de la pandémie, des occupations de lieux culturels se prolongent, de nouvelles éclosent en régions, pour faire pression sur un gouvernement qui les juge « dangereuses ». Reportages à Besançon et Strasbourg.
«Rends-nous l’art Jean », « No culture, no futur ». En deux slogans peints à même son corps, sur sa poitrine et sur son dos, l’actrice Corinne Masiero, (faussement) ensanglantée, des tampons menstruels en guise de boucles d’oreilles, a dénoncé, vendredi 12 mars, lors de la cérémonie des César qui réunissait le monde du cinéma, une culture « à poil ».
Connue pour son rôle dans la série télévisée Capitaine Marleau, la comédienne a signé l’intervention la plus marquante d’une soirée très politique qui a servi de tribune pour évoquer un monde de la culture en plein désarroi, qui se sent sacrifié par le gouvernement car jugé « non essentiel ». Comme pour dénoncer le racisme aussi, les violences policières, la crise sociale ou les inégalités de genre.
Sur la scène de l’Olympia, face à un public réduit au minimum et masqué, Corinne Masiero a salué les « copains » qui occupent à Paris le célèbre Théâtre national de l’Odéon depuis le 4 mars et mis en lumière la souffrance des intermittents du spectacle à l’origine d’un mouvement d’occupation des lieux culturels qui commence à prendre de l’ampleur. « Qui veut la peau de Roger l’intermittent ? Maintenant, on est comme ça, tout nus, voilà », a asséné l’artiste.
De Lille à Lyon, en passant par Besançon, Châteauroux, Limoges, Niort, Pau, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg ou Toulouse…, de nouveaux théâtres, opéras et scènes musicales ont en effet rejoint, en fin de semaine, le mouvement initié il y a dix jours à l’Odéon, lieu hautement symbolique depuis Mai 68. « Occupons ! Occupons ! Occupons ! », avait appelé en début de semaine la CGT Spectacle, dans un communiqué annonçant un mouvement « dans le sillage de l’occupation des ronds-points » par les « gilets jaunes ».
Partout, les mêmes revendications : la réouverture des lieux culturels fermés depuis la fin octobre, alors que certaines études, mises en avant par le secteur (comme cette étude allemande), laissent penser que cinémas et théâtres seraient moins contagieux que les commerces, et alors que le milieu a réfléchi à des protocoles sanitaires adaptés. Les manifestants réclament aussi une prolongation de l’année blanche pour les intermittents, qui leur assurerait une prolongation de leurs droits au chômage jusqu’au 31 août, son élargissement à tous les travailleurs précaires et saisonniers, ainsi que le retrait de la réforme de l’assurance-chômage.
Partie de théâtres nationaux – l’Odéon, rejoint par la Colline dans l’est parisien, puis par le TNS de Strasbourg –, la contestation s’étend désormais dans plusieurs villes du pays et durcit encore un peu plus le bras de fer entre le monde de la culture et sa ministre de tutelle, Roselyne Bachelot. Cette dernière avait jeté de l’huile sur le feu, mercredi 10 mars, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, en jugeant « inutiles » et « dangereuses » ces occupations (qui sont dans la majorité des cas tolérées par les directions).
Ses annonces du lendemain, sur une rallonge notamment de 20 millions d’euros en soutien « aux équipes artistiques les plus fragiles », lors d’une réception des organisations syndicales du secteur avec le premier ministre Jean Castex, n’ont pas calmé la colère. Au contraire.
Plusieurs lieux de culture ont rejoint le mouvement depuis, comme à Niort, où 200 personnes ont voté jeudi 11 mars l’occupation immédiate de la scène nationale du Théâtre de la Cité et déployé des banderoles : « Nous ne sommes pas une variable d’ajustement », « Nous avons des propositions », « Un recul social ne se négocie pas, il se combat ».
Vendredi 12 mars, au micro de France Culture, Roselyne Bachelot a assuré comprendre « le mouvement d’exaspération, de colère », et annoncé tabler sur une réouverture des lieux culturels au cours du deuxième trimestre 2021, entre avril et juin, « avec des protocoles de sécurité adaptés ». Mais elle n’envisage pas pour le moment une deuxième année blanche, soit la prolongation des droits d’indemnisation au-delà du 31 août pour les intermittents arrivant en fin de droits entre le 1er mars et le 31 août.
« La situation sera un peu différente car nous sommes dans une année où, nous l’espérons, il y aura une reprise dans la période d’été », justifie la ministre, qui dit néanmoins comprendre l’inquiétude des intermittents face à la date butoir du 31 août. Une mission est en cours « pour poursuivre le système de l’intermittence avec des modulations particulières » et étudie l’accès au chômage des intermittents « primo-entrants », a-t-elle précisé.
Annoncée en mai 2020,...
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