Dans la crise que traverse le secteur, l’Opéra de Paris fait bonne figure. Mais en dépit de bons chiffres en 2023, l’établissement reste traversé par de nombreux conflits internes.
Alexander Neef était-il fâché ? Lors de la traditionnelle galette organisée mi-janvier pour les salariés de l’Opéra de Paris, le directeur, d’ordinaire si placide, n’a pas pu s’empêcher d’adresser une pique aux grévistes ayant perturbé la fin de l’année. « Le collectif n’est pas un vain mot », a-t-il cinglé dans son discours, pointant du doigt ceux qui « fragilisent » l’équilibre économique de l’Opéra. Il faut dire qu’en novembre deux représentations de Turandot et Cendrillon ont dû être annulées à la suite d’un mouvement des intermittents, et qu’en décembre les débuts de Casse-Noisette ont été chahutés par une mobilisation des machinistes. Un préavis de grève du ballet a également menacé les spectacles du 23, 25 et 31 décembre, avant d’être levé… Alors, agacé, le directeur ? « Non, je ne prends rien personnellement, précise-t-il aujourd’hui. Mais ces épisodes causent un grand stress à tout le monde, sans parler des pertes de recettes. Aucune revendication n’est injustifiée, mais on peut sûrement discuter autrement et aboutir au même résultat. »
L’anecdote résume bien le paradoxe de l’Opéra de Paris. Avec ses deux théâtres (Garnier et Bastille) connus dans le monde entier, son budget impressionnant (239 millions d’euros en 2023), son ballet considéré comme l’une des meilleures compagnies internationales de danse et ses productions attirant les plus grands chanteurs (la soprano russe Anna Netrebko vient d’y triompher dans une reprise d’Adriana Lecouvreur), l’établissement fait figure de « joyau de la Couronne », selon les mots d’un fin connaisseur du milieu. Mais ses coulisses sont tumultueuses, et ses travées, le théâtre de nombreux psychodrames et conflits sociaux.
Dernièrement, l’établissement a vécu une succession de départs fracassants : en 2022, la directrice de la danse, Aurélie Dupont — qui avait succédé en catastrophe à Benjamin Millepied, démissionnaire —, a subitement déclaré forfait. Quelques mois plus tard, le danseur François Alu quittait le ballet alors qu’il venait tout juste d’être nommé étoile. Et l’année dernière c’est le très demandé Gustavo Dudamel, nommé directeur musical à peine deux ans auparavant, qui a décidé de faire ses valises pour « raisons personnelles »… avant d’annoncer son arrivée à la tête de l’orchestre philharmonique de New York. Son remplaçant n’a toujours pas été trouvé.
Cette instabilité tombe mal, à l’heure où le milieu de l’Opéra traverse une tempête sans précédent. Certes, ses vagues risquent peu de submerger le « navire amiral » de l’art lyrique et chorégraphique français, mais lui aussi se trouve confronté à une équation complexe à résoudre. Face à l’érosion des subventions de l’État (de 112 millions d’euros en 2010 à 105 millions en 2023), désormais minoritaires dans son budget, il lui faut faire des économies sans mettre en danger son aura internationale et booster ses ressources propres, mais en évitant la surchauffe…
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