Depuis l’attribution du prix de la Banque de Suède en 2009 à Elinor Ostrom pour son approche originale sur la gouvernance des communs naturels, on a pu observer une circulation particulièrement intense de cette notion de communs hors de son champ d’origine et au-delà de la sphère académique. Cet attrait est particulièrement manifeste dans le champ culturel où elle a été mobilisée par différents collectifs militants, dans l’environnement numérique comme à l’échelle territoriale, pour favoriser l’expression de cultures participatives et de formes de gouvernance plus démocratiques.
Les communs culturels numériques
En ouvrant la voie à des modes inédits de production, de circulation et de réception de la connaissance, l’écosystème sociotechnique d’Internet a constitué un terrain propice à l’émergence de nouvelles formes de communs. La communauté du logiciel libre engagée en faveur de la construction de connaissances partageables et ouvertes avait déjà ouvert la voie vers ce que l’on appelle désormais les communs numériques.
Plus tard, ce sont des juristes américains spécialistes de la propriété intellectuelle et des activistes défenseurs des libertés sur Internet, inspirés par la communauté du logiciel libre et les travaux académiques d’Elinor Ostrom, qui ont mobilisé, pour la première fois, le registre sémantique des communs dans le champ culturel. Leur objectif était de défendre et de sécuriser juridiquement l’essor d’une culture populaire contributive et non marchande fragilisée par le renforcement de la législation sur le droit d’auteur apparue à la fin des années 90 – Copyright Extension Act (CTEA) et Digital Millenium Copyright Act (DMCA). En arrière plan, il s’agissait de s’opposer à une certaine vision de l’économie de la connaissance et de la culture désireuse de transformer toutes les formes de production de savoirs en marchandise.
L’invention des licences Creative Commons (CC) en 2002 par le Berkman Center for Internet and Society de l’Université de Harvard a offert une voie légale pour favoriser l’essor de nouvelles formes d’expression culturelle contributives, désignées aussi sous le vocable de culture libre par Lawrence Lessig. Les communs culturels créatifs désignent ainsi tout autant les contenus (texte, image, son) pouvant être utilisés sans permission préalable (mais potentiellement menacés), comme ceux relevant du domaine public, que les nouveaux contenus créés et volontairement partagés, identifiables grâce à ces licences CC.
Dans l’environnement numérique, les plates-formes de partage de contenus culturels à l’instar de Wikipédia et Wattpad dans le domaine de l’écriture collaborative, Jamendo dans celui de la musique, ou bien encore de Flickr dans le domaine de l’image, ont contribué à favoriser cette culture libre et ainsi l’essor des communs culturels. Sur ces plates-formes, chacun peut créer et partager des ressources culturelles (texte, son, image) avec une communauté d’usagers en utilisant des licences Creative Commons.
Par ailleurs, certaines institutions culturelles pionnières comme Europeana ou la bibliothèque municipale de Lyon ont aussi fait le choix de favoriser l’essor de cette culture libre en autorisant le partage, la diffusion et la modification de leurs œuvres numérisées par l’intermédiaire de licences CC.
Depuis 2022, la Fondation Wikimedia France a créé un label « culture libre » à destination des institutions culturelles qui favorisent son essor.
Dans tous ces cas de figure, l’enjeu pour ces plates-formes de communs culturels est de se pérenniser dans un environnement où les règles du capitalisme de plate-forme dominent.
Des communs culturels à l’échelle du territoire
Aujourd’hui, c’est à l’échelle des territoires que les communs trouvent un nouveau foyer de propagation intense, mobilisés comme marqueurs identitaires de certains lieux culturels.
On peut citer comme illustrations exemplaires, le projet « futurs communs » de la Friche Belle de Mai à Marseille, le « laboratoire des communs et d’intelligence collective » du Shakirail à Paris, ou encore la création et la fabrique des communs comme étant au cœur de la mission du Port des Créateurs à Toulon.
Comme dans l’environnement numérique, la mobilisation de ce registre sémantique sert aussi à légitimer à la fois des pratiques culturelles dites participatives et des modes de gouvernance plus démocratiques.
Qu’ils se nomment friche culturelle (Belle de Mai), espace culturel et solidaire (Shakirail) ou tiers lieu culturel (Le Port des Créateurs), la référence aux communs renvoie à l’idée d’une mise en partage de ressources, matérielles et immatérielles, rendues accessibles à une communauté d’usagers. L’artiste, l’artisan, l’entreprise culturelle peuvent y trouver des lieux d’expérimentation, de création, de production, des lieux de travail disponibles à titre gratuit ou à un prix inférieur à celui du marché. En contrepartie, ils sont incités dans une logique de réciprocité à participer à l’animation d’activités pour la communauté d’usagers.
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