La contestation venue du théâtre de l’Odéon à Paris a déclenché une vague de rébellion qui touche maintenant plusieurs établissements culturels français mis en difficulté par la crise sanitaire.
«Les amis, on est là pour longtemps», tonne le secrétaire général de la CGT spectacle, Denis Gravouil, au sortir de la visioconférence qui réunissait jeudi matin les syndicats de salariés, Jean Castex et Roselyne Bachelot. Sur son passage, dans les couloirs rouge et or qui longent les loges du théâtre national de l’Odéon, les bustes en bronze restent de marbre. Un peu comme le gouvernement, selon le syndicaliste, dont les«petites sommes d’aide» accordées au secteur culturel seraient en réalité «des miettes, des aumônes». En tout, 20 à 30 millions d’euros supplémentaires pour soutenir l’emploi et les jeunes («alors qu’il en faut vingt fois plus»). Plus précisément 20 millions d’euros pour soutenir les petites compagnies, les résidences d’artistes et les équipes artistiques en région, et une augmentation de 10 millions du fonds d’urgence (Fussat) pour accompagner les intermittents qui n’ont pu bénéficier de l’année blanche (le fait de ne pas avoir à justifier d’un certain nombre d’heures de travail pour maintenir leur statut). Revendication centrale des occupants, sa prolongation au-delà du mois d’août n’a toujours pas été garantie : la mission Gauron aidera à statuer fin mars, date de remise du rapport.
On sent l’inquiétude grimper les marches du théâtre de l’Odéon, où un occupant spécule : «La pire des choses qui puisse nous arriver, c’est qu’on obtienne l’année blanche et rien de plus. Ce serait se mettre à dos tous les travailleurs, on passerait encore pour des privilégiés.» Face aux syndicats, le Premier ministre s’est ému que la garantie d’accès aux congés maternité et maladie n’ait pas déjà été réglée par décret. «C’est pas faute d’avoir prévenu depuis au moins six ou sept mois», relève Denis Gravouil qui déplore l’absence de la ministre du Travail, Elisabeth Borne, pourtant concernée en premier chef par la contestation contre la réforme de l’assurance chômage. «Pour le Premier ministre, ce dossier est déconnecté de la question des intermittents, nous pensons exactement le contraire.» Fin de la conférence de presse. Bilan de Gravouil : «Très clairement le compte n’y est pas, nous appelons à la poursuite et l’amplification des mouvements.»
Grosse caisse
Alors, à l’intérieur des murs, la grosse caisse, les cuivres et le piano reprennent. Façon de donner du jus à cette septième journée d’occupation des lieux, rythmée comme les autres par les nuits blanches, les mini-concerts du soir, les AG du matin et l’agora publique de l’après-midi donnée sur le parvis, où se sont pressés ces derniers jours artistes et politiques : François Ruffin (LFI), des députés communistes, et tiens, aujourd’hui, l’ancienne ministre de la culture (PS) Aurélie Filippetti. Dans l’écrin de la salle, les répétitions du prochain spectacle de Christophe Honoré. Partout autour, du toit-terrasse au foyer où trône la statue de Racine relookée en cégétiste, une cinquantaine d’intermittents, pour certains membres de l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens de France (Snam) et de la CGT, répartis en différentes commissions d’organisation, dont celle chargée de faire le lien «avec les autres». Les «autres», c’est-à-dire à ce stade : les occupants de la Scène nationale de Châteauroux, du théâtre Graslin de Nantes, de l’Espace pluriels de Pau, du Centre dramatique national de Besançon, de la Scène nationale de Niort, de la salle de concert le Fil à Saint-Etienne, mais aussi les théâtres nationaux de Strasbourg et de la Colline à Paris – ces deux derniers étant uniquement occupés par des étudiants en école d’art – formant désormais une vague de mobilisation d’ampleur nationale.
«Bonjour Paris, ici Nantes !» Joints en duplex pendant l’AG, les voix des occupants du théâtre Graslin se mêlent aux acclamations sur le parvis du VIe arrondissement de Paris. Ils se disent réjouis d’avoir obtenu le soutien de la mairie. Côté Châteauroux, le directeur de la Scène nationale, Jérôme Montchal, joint par Libération, détaille : «Tout a été déposé sur la table du Premier ministre. La reconduction de l’année blanche est indispensable et la réouverture de nos lieux est possible, c’est ça qu’il faut qu’on annonce, pas 20 millions qu’on est allés trouver d’un côté, 10 millions de l’autre, c’est ridicule, explique-t-il. Equinoxe est aujourd’hui un théâtre occupé suite à une décision des intermittents mais aussi et surtout des abonnés du théâtre qui ont dit : «On n’en peut plus.» Ce n’est pas de l’agressivité, c’est de la combativité, car c’est notre métier d’être combatif.»
«Koh Lanta»
En attendant vendredi – les organisations professionnelles du cinéma et du théâtre aborderont la question des réouvertures lors de leur propre visio avec le gouvernement –, en attendant aussi le Conseil national des professions du spectacle, sous l’égide du Premier ministre, prévu pour le 22 mars, l’occupation continue donc. La bonne nouvelle...
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