Sur fond d’un durcissement drastique de la censure, les théâtres russes trop libres au goût du Kremlin, ont changé de direction, ou simplement mis la clé sous la porte.
«Du point de vue de l’art, ce n’est pas seulement du sabotage, c’est un meurtre», estime Kirill Serebrennikov. Jeudi soir, l’artiste exilé s’est exprimé par visioconférence depuis la France devant une foule d’habitués venus rendre hommage à leur théâtre préféré, le «Centre Gogol». Les autorités russes ont annoncé le limogeage de la direction et donc de la troupe de ce théâtre phare de la Moscou libre. L’institution, créée en 2012 sur les bases d’un théâtre dramatique, est devenue l’une des scènes les plus courues de la capitale avec une moyenne d’occupation des fauteuils de 92%. Mais sa particularité venait surtout de son ton : Serebrennikov, directeur artistique depuis le début, en avait fait un lieu d’expérimentations ouvert sur le monde, capable de s’appuyer sur l’histoire de la Russie pour raconter la période actuelle. Le Centre Gogol était aussi un lieu de rencontre privilégié pour une jeune génération d’acteurs passés maîtres dans l’art de questionner la politique courante avec une subtilité permettant d’éviter la prison. Mais selon l’un d’entre eux, le comédien Alexandre Kouznetsov, il ne reste désormais plus rien de tout ça.
«Cette soirée dépasse le Centre Gogol, elle représente la fin d’une période de notre vie, de ce pays. C’est la fin, il n’y a plus d’autres endroits où aller. On a mis le théâtre sur une étagère, avec notre jeunesse, la pertinence, l’honnêteté… Dans ce pays, tout ce qui vit sera tué», regrette-t-il. En guise de conclusion de l’aventure et d’adieu, les acteurs ont déclamé une dernière fois «Je ne participe pas à la guerre», du poète et ancien soldat russe Youri Levitanski.
«Colombe de la paix»
En Russie, l’Etat tient les théâtres par la bourse. Depuis le début de la guerre, le ministère de la Culture a décidé de ne plus financer ceux qui ne rentrent pas dans la ligne officielle : «Ils nous ferment à cause de notre honnêteté. Pour notre tentative de liberté. Pour le fait que durant ces mois de guerre, ni le théâtre ni les acteurs protestant contre la guerre ne se sont inclinés, terminant chaque représentation par l’image d’une colombe de la paix. Ils nous reprochent aussi de ne pas avoir retiré mes spectacles du répertoire», a écrit Serebrennikov sur les réseaux sociaux. Le réalisateur et metteur en scène, qui a bruyamment critiqué l’offensive russe contre l’Ukraine pendant le festival de Cannes, n’est plus le bienvenu en...
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