Pas de droits d’auteur, des commandes à l’arrêt, une vente de pièces de théâtre en déclin… Dans la crise due au coronavirus, les dramaturges voient leur précarité s’accentuer, malgré les aides de l’Etat.
Un jour, peut-être, un petit virus à la physionomie insaisissable, ayant réussi à mettre le monde à l’arrêt pour de longs mois, deviendra le héros d’une pièce de théâtre, accompagné des peurs et des dégâts qu’il a engendrés. Mais en attendant ce jour, le petit virus en question décime les auteurs dramatiques. Le constat est simple, et unanime, basé sur le principe de l’entonnoir : dans une crise qui touche particulièrement la culture, et à l’intérieur de celle-ci particulièrement le spectacle vivant, les auteurs, maillon déjà le plus fragile de la chaîne, sont les plus fragilisés.
Pas de statut d’intermittent
Pour les dramaturges au temps du Covid-19, c’est en effet la double voire la triple peine. « Un auteur n’est pas payé du tout pendant la période où il écrit, c’est le lot commun des écrivains, constate Denise Chalem, vice-présidente de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et elle-même dramaturge. Pour un auteur de théâtre, il existe trois sources de rémunération : les commandes ou bourses d’écriture, qui sont rares ; les droits d’auteur, principale source de revenus ; et les revenus de l’édition, minimes en général, les pièces de théâtre ne faisant pas l’objet des mêmes volumes de vente que les romans ou les essais. Les dramaturges, par ailleurs, ne bénéficient pas du filet de sécurité offert par le régime des intermittents du spectacle, contrairement à toutes les autres professions du spectacle vivant, artistes comme techniciens. »
La mâchoire s’est refermée, surtout sur ceux qui ne sont pas par ailleurs metteurs en scène ou comédiens. Avec une activité théâtrale à l’arrêt depuis le 16 mars, une timide reprise à la rentrée avec des salles en demi-jauge, le couvre-feu puis le reconfinement intervenu le 29 octobre, les droits d’auteur se sont évaporés. Les ventes de pièces, très liées à l’activité théâtrale, ont baissé. « Les amateurs achètent en général des textes lors d’une sortie au théâtre, ou pendant les festivals, remarquent aussi bien Claire David, directrice du département théâtre d’Actes Sud, que François Berreur, directeur des éditions Les Solitaires intempestifs. L’annulation d’un festival comme Avignon, notamment, entraîne une forte chute des ventes de pièces de théâtre. »
« Suivant que l’on est à Paris ou en province, dans le théâtre privé ou dans le public, les auteurs sont payés soit au nombre de spectateurs, soit sur un pourcentage de la recette du spectacle, qui se situe entre 9 % et 12 % en général, résume Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg (TNS) et fervent défenseur des écritures contemporaines. Dans les deux cas, ils sont perdants dans la période actuelle, avec des salles qui, quand elles sont ouvertes, fonctionnent avec des jauges réduites, et des recettes diminuées en conséquence. »
Un paysage dévasté
Comme ses collègues du Théâtre national de la Colline, du Théâtre du Rond-Point et du Théâtre ouvert, à Paris, autres structures dévolues à l’écriture d’aujourd’hui, Stanislas Nordey observe un paysage dévasté. « Même certains auteurs connus et reconnus se retrouvent en grande difficulté », signalent tant Denise Chalem que Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point, lui-même auteur d’une bonne vingtaine de pièces.
C’est par exemple le cas de Rémi De Vos, signataire d’une trentaine de pièces jouées aussi bien dans le théâtre public que dans le privé, et un des rares auteurs de comédies en France. Des autrices de la dimension de Marie NDiaye, qui avait trois pièces à l’affiche cette année, ou de Yasmina Reza, dont les textes sont très joués à l’étranger, notamment dans des pays anglo-saxons où l’activité est complètement à l’arrêt, sont également fortement impactées par la crise.
Certains théâtres, ceux qui dépendent de l’Etat principalement (théâtres nationaux et centres dramatiques nationaux), ont réglé aux auteurs des dédits ou des droits compensatoires, calculés souvent sur la jauge minimale de spectateurs. D’autres non, soit qu’ils estiment ne pas être en mesure de le faire, soit qu’ils attendent de savoir à quels reports de programmation ils vont pouvoir procéder. « Tout se négocie de gré à gré avec chaque lieu en particulier », constatent à la fois Sonia Chiambretto, Christophe Pellet ou Pauline Bureau, trois auteurs qui avaient plusieurs textes en jeu cette année.
Les aides de l’Etat existent, mais les principaux intéressés eux-mêmes ont parfois du mal à s’y retrouver dans le maquis des procédures. Le ministère de la culture a donc fléché les aides principalement vers la SACD, qui a mis en place deux fonds relevant du fonds d’urgence gouvernemental : un fonds spectacle vivant, et un fonds d’urgence solidarité. Le premier s’adresse aux auteurs qui ont touché au moins la moitié de leurs revenus en droits d’auteur, le second à ceux qui n’atteignent pas ces 50 %, ce qui est fréquent : la plupart des auteurs dramatiques sont obligés de travailler par ailleurs pour pouvoir survivre. La SACD dit ainsi avoir aidé plus de 200 auteurs, pour un montant total de 700 000 euros, chaque aide étant plafonnée à 1 500 euros par mois.
Le TNS et le Théâtre de la Colline, eux, ont utilisé les fonds de « L’Eté culturel et apprenant », opération mise en place par les ministères de la culture et de l’éducation nationale, pour passer des commandes d’écriture, ou organiser des ateliers animés par des auteurs. « Il devait aussi y avoir une enveloppe pour les auteurs dramatiques dans l’enveloppe générale allouée aux commandes publiques à de jeunes créateurs, mais pour le moment rien n’a abouti de ce côté-là, visiblement parce que l’administration avait mis en place une usine à gaz », déplore Stanislas Nordey.
Multiples effets pervers
Il y a l’argent, nerf de la guerre, mais il y a aussi l’imaginaire, et les multiples effets pervers induits par la crise. « Ce virus pulvérise nos projets et nos rêves », se désole l’autrice Pauline Bureau, qui pourtant s’estime privilégiée, car elle est également metteuse en scène et directrice de sa compagnie, La Part des anges, qu’elle a réussi à sauver du marasme. A 40 ans à peine, elle devait...
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