REPORTAGE I A Paris, comédiens, directeurs de salles et spectateurs composent avec les nouvelles règles de distanciation.
C’est leur première sortie théâtrale depuis cinq mois. Masques en tissu bien calés sur le visage, Chris et Zina veulent « reprendre autant que possible leur vie d’avant et retrouver le plaisir des soirées au spectacle ». Ces deux amies quinquagénaires patientent, avec une légère appréhension, devant le théâtre du Petit-Saint-Martin, à Paris. « J’espère qu’ils ont bien aménagé la salle pour qu’on ne soit pas collés et qu’ils ont fait le nécessaire pour l’aération », insiste Zina. La capitale a beau être en zone rouge Covid-19, il y a foule, ce samedi 12 septembre, pour découvrir la nouvelle création de Camille Chamoux, Le Temps de vivre.
Dans la salle, toutes les consignes sont rappelées par l’ouvreur : « Eteignez vos portables, gardez votre masque, respectez le siège d’écart entre les groupes de spectateurs, bref, aidez-nous. » Une heure et demie plus tard, effacées les appréhensions, envolé le virus ! Chris et Zina sortent avec le sourire : « On était concentrées sur la comédienne. Comme le spectacle est vraiment bien, on en a oublié qu’on portait un masque, c’est comme s’il était devenu une paire de lunettes ! »
Dans ce théâtre de 200 places, la « jauge Covid » (qui impose un siège vide entre chaque couple ou groupe de spectateurs) peut monter jusqu’à 140 : « Cela fait quand même de très belles salles », se réjouit Camille Chamoux. La comédienne humoriste n’a pas hésité à lancer sa création malgré les mesures sanitaires : « Le spectacle était prêt, le pire aurait été d’attendre. Rien ne m’aurait fait annuler ces dates. Contrairement à un film dont on peut décaler la sortie, le spectacle vivant, c’est un souffle et c’est maintenant que j’avais ce souffle pour porter ce seule-en-scène ». Et d’ajouter, enthousiaste : : « Il y a une fièvre magique qui circule entre public et artistes. »
« Retrouver l’émotion du vivant »
A fréquenter pendant une semaine les théâtres parisiens, on se dit que le spectacle vivant n’est pas mort. Et qu’après une si longue période de fermeture, on assiste, comme le résume joliment Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point, « à la rencontre de deux désirs : le désir de jouer des comédiens et celui, pour le public, de retrouver l’émotion du vivant ». Sophie Vonlanthen a les yeux qui brillent lorsqu’elle se remémore la soirée du 27 août. Ce jour-là, le théâtre contemporain de la Manufacture des Abesses, qu’elle dirige, a rouvert ses portes. « Ce fut bouleversant et galvanisant. Il y avait urgence à jouer, car les artistes étaient pris d’un doute existentiel. Le public était là, comme dans un élan de solidarité. » Dimanche 13 septembre, devant l’entrée de ce théâtre montmartrois, Swan Demarsan se dit « abasourdi par cette envie partagée ». Cette rentrée si particulière « est à la fois formidable et terrible », estime le metteur en scène de Désordres, une création sur les affres du couple de Yamina Hadjaoui.
Le port du masque obligatoire pour les spectateurs modifie-t-il le rapport avec le public ? « Ça ne change rien. Tout le monde a envie que ça se passe bien et cela emporte tout », assure Sophie Vonlanthen. « J’étais préoccupée par le fait de savoir comment les gens allaient vivre le théâtre masqué, temporise la comédienne Oriane Blin, à l’affiche de Désordres. Finalement, je ressens du soutien. » Son partenaire, Boris Khalvadjian, poursuit : « Le masque n’a pas mis de frontière supplémentaire, les gens ont une grande capacité d’adaptation. » La comédienne et humoriste Camille Chamoux, elle, juge la situation « très étrange. Je ne vois plus les visages qui sourient, les rires sont plus étouffés, mais je sens le corps des spectateurs penchés vers l’avant et une très belle qualité d’écoute ». La troupe du Cercle des illusionnistes est moins catégorique : « Le masque étouffe les réactions, elles nous parviennent beaucoup moins. » Pourtant, mercredi 9 septembre, au théâtre du Splendid, les applaudissements sont nourris pour cette pièce à succès d’Alexis Michalik. Avant la séance, le message de l’ouvreuse est comme un cri du cœur : « Gardez vos masques pendant la représentation, c’est la seule solution pour qu’on puisse travailler, et nous avons très envie de travailler et de rester ouvert ! »
Devant le Théâtre du Marais, Jean-Michel et Ghislaine sourient : « On brave le Covid ! » Ce couple de Provençaux n’était pas venu à Paris depuis cet hiver. « Comme à chacune de nos virées dans la capitale, on sort au théâtre. On garde nos habitudes malgré le virus pour que les artistes puissent continuer à travailler », explique Jean-Michel, heureux de découvrir, jeudi 10 septembre, le nouveau spectacle de Pierre Palmade, Assume, bordel !, en duo avec Benjamin Gauthier. Derrière eux, Eric, Natacha et Claude évoquent leur « plaisir de retrouver des comédiens sur scène ». Le masque ? Peu importe. « De toute façon, je l’ai depuis ce matin au boulot, alors une heure de plus ou de moins… », relativise Eric. « Si c’est la condition pour continuer à vivre, alors ok pour le masque », renchérit Claude.
Gel hydroalcoolique à la main, Hervé Compan, directeur du Théâtre du Marais, accueille et...
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