Après un an d'existence, le CNM continue de gagner en importance en apportant son aide au secteur culturel frappé par la crise sanitaire et explore des pistes pour un streaming plus juste.
Le Centre national de la musique fête son premier anniversaire. Et, malgré les difficultés sanitaires du moment, peut-être aussi grâce à elles, il étend chaque jour son périmètre et son importance. L’institution n’a pas encore de locaux à sa taille (elle s’installera au printemps près de la BNF) et multiplie les réunions par zoom, qu’à cela ne tienne : sa présence, massive, est saluée par bien des acteurs de la filière. A l’image du CNC pour le cinéma, le CNM représente l’outil d’intervention de l’Etat dans le secteur de la musique. Cet Epic est placé sous la tutelle du ministère de la Culture, conjointement coiffé par la Délégation générale de la création artistique et celle des médias et des industries culturelles.
«Exigence de résultat et de rapidité»
La gestation de ce gros bébé aura couru sur une quarantaine d’années et se trouve encore, à la marge, en cours de processus. Préfiguré par Françoise Nyssen en 2018, officiellement créé en janvier 2020 par Franck Riester, il succède au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). En novembre dernier, il a englobé les quatre associations qui répartissaient les aides au secteur de la musique : le Bureau Export, l’Irma (Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles), le Fonds pour la création musicale ainsi que le Calif (Club Action des labels et des disquaires indépendants français). L’institution est dirigée par Jean-Philippe Thiellay, ancien directeur général de l’Opéra de Paris sous l’ère Lissner.
Avec pour mission de rendre plus cohérente la redistribution du panel d’aides ainsi que de promouvoir la musique française à l’étranger, il se double depuis le Plan de relance du ministère, décidé en septembre et d’une hauteur globale de 2 milliards, du rôle immédiat de pompier de service. En quelques mois et à travers quatorze programmes différents pour répondre à l’urgence, le CNM a ventilé quelque 66,6 millions d’euros (chiffre de la bête) d’aides Covid sur 1 924 dossiers, pour une redistribution totale de 97,7 millions sur 4 742 dossiers. «La pandémie a exacerbé l’exigence de résultat et de rapidité. Tout comme elle a fait remonter des questions fondamentales dont certaines n’auraient été évoquées que dans quelques années, à propos de la TVA sur la musique, ou de la contribution du digital à la création», nous explique au téléphone Jean-Philippe Thiellay.
Aides à la captation
Au sujet du numérique, le CNM n’oublie aucun recoin de sa large assiette, le champ de la taxe fiscale sur les spectacles de musiques actuelles et de variétés ainsi que les projets concernant les genres classique et contemporain. Avec une particularité notable : depuis novembre, il est aussi chargé de répartir l’enveloppe du Programme Diffusions alternatives. Une aide destinée aux entrepreneurs de spectacles qui désirent maintenir leur activité et assurer des représentations. Il s’agit concrètement d’une aide à la captation, oasis nirvanesque qui seule permet encore la tenue de concerts, d’opéras, et qui sert autant le secteur privé que le public. Les subventions annuelles aux institutions n’assurent qu’un ordre de marche sans marge artistique. Impossible de financer des spectacles sans billetterie, dans des salles closes et, dans l’attente d’un possible reconfinement, pas près de rouvrir. Effet de la crise inattendu, le CNM, avec cette aide bricolée en deux mois, tient donc à bout de bras le spectacle vivant, qui se finance aujourd’hui autour de cette équation : mécénat quand il y en a + vente des droits de diffusion + aides CNM = représentation captée (à diffusion nationale type Arte, locale type France 3 Régions, satellite type Mezzo ou en interne via les sites des théâtres) pour remplir aux missions de service public. Cet opérateur orienté vers la musique fait se tourner les théâtres aux abois vers un modèle économique proche de celui du cinéma, où la perspective d’une diffusion est nécessaire à toute production.
Le CNM s’avance aussi dans des territoires sociétaux. Depuis le 1er janvier, à la demande du ministère et en collaboration avec sa mission égalité femmes-hommes, il développe un protocole «visant à prévenir et traiter les situations de violence sexiste et sexuelle dans le champ des professions de la musique». C’est par exemple l’obligation de nommer un référent dans une production lyrique, dans le sillage de l’affaire Chloé Briot. En marge des démarches pour prévenir et signaler les cas de harcèlement, il propose aussi des outils de formation et d’accompagnement. Désormais, l’octroi des aides sera conditionné au respect de ce protocole.
Le CNM prend aussi en charge un rôle prospectif, illustré ce mercredi par la divulgation d’une vaste étude sur le principe de l’User Centric. Une étude brûlante, car la grogne contre Spotify, Apple Music et cie n’a cessé de monter depuis le début de la pandémie, à peu près partout dans le monde où les plateformes sont implantées. Au Royaume-Uni, une commission parlementaire est au travail depuis octobre pour tâcher de mesurer l’impact du streaming et du fonctionnement de ses plateformes sur l’industrie musicale du pays. En France, 15 000 artistes, accompagnés de l’Adami (qui représente les intérêts, plus lésés encore que d’autres par le streaming, des interprètes) interpellaient en septembre la ministre de la Culture dans une tribune parue dans le Monde. Au niveau international, c’est l’Union of Musicians and Allied Workers (Umaw), qui rassemble plusieurs milliers de créateurs et techniciens des deux côtés de l’Atlantique, qui a multiplié les apostrophes bruyantes à l’industrie, au leader du marché Spotify et aux gouvernements pour changer le système et revaloriser les rémunérations. Autant dire que le rapport rendu par le CNM sur les effets éventuellement vertueux du «User Centric Payment System» (UCPS), mis en avant comme une de ses missions les plus urgentes, était attendu de pied ferme.
Car cette méthode de calcul des écoutes, qui semble plus équitable et qu’appelle de ses voeux le Français Deezer depuis plusieurs années, est envisagée comme un des rares remèdes à un problème profond, à savoir que le streaming ne permet pas à une grande majorité d’artistes de se rémunérer décemment – un euphémisme – même quand leur musique suscite des succès d’estime confortables qui, dans le monde d’avant la pandémie, leur aurait permis de travailler correctement, notamment en se produisant en concert. L’UCPS, qui entend répartir les redevances à l’unité en attribuant à chaque morceau «une quote-part des revenus de la plateforme de streaming issus de chaque abonnement», s’avancerait en effet comme une alternative au «Market Centric Payment System», qui redistribue l’assiette globale des écoutes proportionnellement à la part que représente chaque titre dans la totalité des écoutes enregistrées. Rappelons que le MCPS, mis en œuvre de manière unilatérale sur toutes les plateformes depuis le lancement de Spotify en 2006, privilégie de manière vertigineuse les artistes les plus populaires par anticipation, qui sont également ceux que les plateformes ont le plus intérêt à mettre en avant par leurs algorithmes et leur travail d’éditorialisation, avec les effets pervers escomptés.
Rôle pédagogique et lieu de concertation
Malheureusement, et comme le prédisaient déjà les opposants aux grandes plateformes qui concentrent la majorité des écoutes et des abonnements (10 % en France), l’UCPS serait loin d’offrir une panacée. L’étude, réalisée à partir de données portant sur l’année 2019 sur le marché français, avec le concours du cabinet Deloitte et à partir d’une méthodologie «commune» (pour rendre cohérents les résultats des enquêtes menées auprès des plateformes et des résultats qu’elles ont consenti à communiquer) révèle que si l’UCPS permettrait d’avantager la variété des genres écoutés, d’atténuer considérablement l’effet de concentration («les redevances fléchées sur le Top 10 artistes» baissant de 17,2 % chez Deezer et 12,5 % chez Spotify), de «stabiliser» le milieu «avec une faible augmentation des redevances» et de «nettement augmenter les redevances vers les artistes les moins écoutés», les différentiels seraient, en termes économiques, dérisoires pour les premiers intéressés. Pour le dire autrement, augmenter la recette des artistes précarisés ne changerait en rien leur situation… Sans parler de la mise en œuvre, les plateformes de streaming ayant développé des modèles économiques leur laissant des marges de manœuvre de plus en plus limitées.
De fait, le rapport du...
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