DÉCRYPTAGE - Gonflé trop vite, le marché subit un coup de frein et fait le tri parmi les artistes. En témoigne l’attentisme à la foire 1-54 de Marrakech, où les enseignes historiques ne sont pas revenues. Mais un rééquilibrage salutaire se profile.
Porteur d’un continent à défricher, coloré, exotique, engagé, l’art contemporain africain avait de quoi faire exploser les compteurs d’un marché de l’art sans cesse en quête de nouveauté. Le boom arriva il y a dix ans - le pic de 2017 à 2022 -, quand les collectionneurs, ravis de voir émerger des talents susceptibles de plus-values, se mirent à acheter - mais souvent sans discernement! - les artistes de l’Afrique ou de la diaspora méconnus ou sous-estimés.
Les maisons de ventes s’engouffrèrent dans la brèche. Les foires aussi, à commencer par 1-54 à Londres, New York, puis Marrakech (et bientôt Hongkong, hébergée par Christie’s). Ainsi que les galeries: la Franco-Somalienne Mariane Ibrahim et la Française de Dakar et Abidjan Cécile Fakhoury ouvrirent à Paris, avenue Matignon, en 2019-2020.
Aujourd’hui, ce marché n’échappe pas au ralentissement mondial, sur fond de guerre israélo-palestinienne. Le boom de l’Afrique se tasse, comme celui de la Chine, après 2000. Il faut faire le tri parmi les artistes, au regard de l’histoire de l’art. Les enchères sont en baisse en 2023, après une année 2022 record. En mai dernier, Artcurial, pour sa dispersion «on line» de 87 lots, atteignait à peine 27,5 % de vendu. En novembre, Piasa, péniblement 31 %. Et en décembre, Bonhams n’adjugeait que 17 des 46 lots de sa vente en ligne.
De nombreux artistes météorites
L’ascension fulgurante de très jeunes noms, encore inconnus hier, laisse perplexe. C’est le cas d’Amoako Boafo, le Ghanéen de 40 ans, découvert en 2018 sur Instagram par Kehinde Wiley, l’Afro-Américain star de la galerie Templon, qui a peint Barack Obama et les chefs d’État africains exposés au Musée du quai Branly. En 2021, chez Christie’s à Hongkong, son portrait noir sur fond jaune Hands up s’envolait à 3,4 millions de dollars, trois fois son record de 2020.
Un an plus tôt, quand Mariane Ibrahim l’avait montré à Art Basel Miami Beach, il ne dépassait pas 30.000 à 45.000 euros! Effet médiatique oblige: Bonafo a peint la fusée du milliardaire américain d’Amazon, Jeff Bezos. Cela l’a lancé sur orbite mais jusqu’à quand? Il se répète lui aussi. Peu convaincantes, ses têtes noires à la texture empâtée affichent 175.000 euros, à la foire 1-54 sur le stand de la Gallery 1957.
Tous les artistes africains n’ont pas un profil de météorite. D’autres continuent plus sagement leur route, comme le Béninois Romuald Hazoumè, 61 ans, avec ses œuvres en bidons d’essence (à la Fondation Clément, en Martinique, et dans le premier pavillon béninois à la Biennale de Venise 2024). Ou sont promis à un bel avenir, comme le Sénégalais Omar Ba (46 ans), déniché par la galeriste Anne de Villepoix puis repris par Daniel Templon, qui en a haussé la cote à 100.000 euros. Ou encore le Congolais Chéri Samba (67 ans), acheté par la Fondation Louis Vuitton. Il est à voir, jusqu’en avril, au Musée Maillol (fonds Jean Pigozzi).
Ceux qui ont su se placer dans les institutions ou braquer les regards des fondations (Zinsou à Cotonou, au Bénin) ou des Biennales (celle, historique, de Dakar) se sont assuré un avenir plus pérenne. Mais ceux qui ont surfé trop vite sur la vague peuvent ranger leurs pinceaux. Exit des enchères, le Ghanéen Isshaq Ismail (né en 1989) qui se vendait surtout à Londres autour de 15.000 livres. Exit en galerie, Collin Sekajugo (né en 1980), pourtant roi du pavillon de l’Ouganda, à la Biennale de Venise 2022. De quoi casser la confiance…
Les réseaux sociaux, vitrine de l’art africain
«C’est un peu comme le tsunami qui se retire sans mettre tout le monde dans le même panier. Il y a eu un engouement pour l’Afrique, avec le mouvement des Black Lives Matter, et on a assisté à une déferlante de ce continent jusque dans les galeries d’art contemporain», explique Philippe Boutté, directeur chez André Magnin, enseigne historique du domaine à Paris depuis 2009.
Son fondateur fut commissaire adjoint des expositions «Magiciens de la Terre», en 1989, au Centre Georges Pompidou et à la Grande Halle de la Villette. Avant de constituer la collection du Franco-italien Jean Pigozzi que Cannes va accueillir dans l’ancienne chapelle Saint-Roch. La reconnaissance de l’Afrique s’est confirmée avec, en 2008, «Africa Remix» à Pompidou...
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