Si les élus du Rassemblement national qui siègent à la commission culture de la région se vantent auprès des organisations culturelles de défendre leurs subventions, les conseillers régionaux qui les y côtoient s’inquiètent de leur interventionnisme confinant à la «censure» sur les projets artistiques liés au genre, à l’immigration ou à l’écoféminisme.
Après une plongée au cœur de la commission culture de l’Assemblée nationale, où siégeaient 11 députés RN, Libé s’est intéressé aux politiques culturelles menées localement par le RN. Dernière étape du côté de la région Grand Est, après Perpignan (Pyrénées-Orientales), Villers-Cotterêts (Aisne) et Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais).
«J’ai le plaisir de vous annoncer que le groupe RN et apparentés a voté POUR l’octroi d’une subvention à Le Jardinet-Maison Vide dans le cadre du soutien aux arts visuels.» Le papier à en-tête porte la flamme bleu blanc rouge et le sang d’Anne-Sophie Velly, fondatrice de ce petit lieu d’art à une vingtaine de kilomètres de Reims, ne fait qu’un tour quand elle ouvre son courrier. Ça s’est passé tout récemment, juste après la commission permanente qui s’est tenue le 24 mai et où sont définitivement votées les subventions que la région Grand Est attribue à des porteurs de projets culturels. Anne-Sophie Velly, habituée de l’organisation de concerts, festivals et expositions, précise : «On est suivis depuis quinze ans et c’est la première fois que je reçois un tel courrier.» Sa consœur Sophie Hasslauer, artiste basée dans le village de Val-de-Vesle, a vécu la même chose il y a deux ans : «Quand j’ai reçu cette lettre du RN, j’étais en panique, je me suis dit : s’ils veulent me donner des sous, c’est pas possible que j’accepte !» En se renseignant, elle découvre que ce clientélisme au moment de l’attribution de subventions n’est pas inhabituel. «Les partis essayent de s’attirer tes bonnes faveurs et t’écrivent pour s’attribuer le mérite de ta “sub” – c’est choquant mais normal.»
«Ils sont allés très loin»
Ce qui est particulier cette année, c’est le climat de tension que trahit un courrier de même nature, envoyé au même moment par la majorité LR de la région. Tout en assurant son soutien au projet d’Anne-Sophie Velly, la lettre signée de la vice-présidente Valérie Debord rappelle le budget global «sans précédent» de la région et précise que ce dernier a rencontré «la réprobation brutale et constante du groupe RN». Est-ce que cette attitude réprobatrice se répercute aussi sur les discussions au sein de la commission culture, quand il s’agit d’examiner des dossiers comme celui de Maison Vide, avec sa «programmation d’art dégénéré et [son] week-end queer à paillettes», comme ironise sa fondatrice ? Une conseillère régionale qui siège dans cette commission note un «phénomène récurrent et de plus en plus inquiétant» dans les discussions : «[Les élus RN] voudraient avoir un contrôle sur le contenu, là où on attribue des subventions.» L’hiver dernier, ils vont même jusqu’à «réclamer la tête» de la présidente de la commission, parce que le festival Cabaret Vert à Charleville-Mézières, subventionné par la région, a décidé de programmer le rappeur Médine. Caroline Reys, élue écologiste qui siège également dans cette commission, renchérit : «Ils sont allés très loin en termes de censure, ils ont même soumis la proposition d’un “Observatoire des projets culturels”, une charte qui aurait conditionné le financement de projets culturels.» Valérie Debord note quant à elle «une inflation des prises de parole du RN par rapport aux précédents mandats» et se dit «persuadée que ce sont des consignes nationales : quand je discute avec mes collègues d’Ile-de-France ou d’Occitanie – et je prends à dessein des régions qui n’ont pas la même couleur politique –, ils me disent la même chose».
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