Deux volumes de béton superposés semblent en lévitation sur la place Calonne de Sedan (Ardennes). Derrière les grandes façades aux vitres colorées, les adhérentes du cours de céramique s’affairent sur leurs blocs de terre. La maison des jeunes et de la culture (MJC) a déménagé en 2012 dans ce quartier prioritaire, en bordure de la Meuse. La modernité du bâtiment contraste avec l’image un peu vieillotte que l’on prête parfois à ces structures associatives.
Lorsque Rachida Dati, fraîchement nommée ministre de la culture, a annoncé en janvier son intention de « relancer » ces structures, la nouvelle a été bien reçue par leur fédération. « Qu’une ministre, qui plus est de droite, reconnaisse qu’elle était passée par une MJC [à Chalon-sur-Saône] et que ce n’était pas honteux, ça a fait du bien au réseau », assure Patrick Chenu, directeur général des MJC de France.
Les MJC, ainsi que d’autres acteurs de l’éducation, ont signé le 16 mai avec le ministère de la culture une nouvelle circulaire pleine de promesse. Avec cette « charte des engagements réciproques culture - éducation populaire », les partenaires s’engagent à concevoir « des actions qui concourent à la constante transformation sociale, à l’émancipation des personnes en vue de l’avènement d’une société plus juste, plus solidaire et plus respectueuse de l’environnement ».
« On est super inquiets »
L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et l’incertitude sur l’avenir de Rachida Dati au ministère de la culture font craindre aux MJC de voir cette parenthèse se fermer. A Sedan, où le Rassemblement national (RN) a reçu 40,16 % des voix lors des européennes, « on est super inquiets », avoue Amélie Rossi Pahon, directrice de la MJC Calonne. « On a un projet de transmission, on est censé véhiculer des valeurs d’échange, de tolérance, de curiosité. On ne peut pas s’empêcher de se demander si on en fait assez », s’interroge-t-elle.
Si l’histoire des MJC s’enracine dans la politique du régime de Vichy d’encadrement de la jeunesse, ces Maisons se sont véritablement bâties dans l’après-guerre, avec, en 1948, la création de la fédération française des MJC. « L’idée était de refaire citoyenneté dans un monde qui avait connu la guerre, l’Occupation..., explique Laurent Besse, maître de conférences en histoire contemporaine à l’IUT de Tours. Leur nombre croît rapidement, passant de 200, en 1958, à 1 200, dix ans plus tard. « Ce boom est né de la crainte du phénomène des bandes et des “blousons noirs”, raconte Patrick Chenu. On est en pleine guerre d’Algérie, il faut s’occuper des jeunes. »
Quatre-vingts ans après leur naissance, l’ambition des MJC de rester ouvert à tous tout en brassant les publics n’a pas changé, mais se heurte à des difficultés budgétaires. A l’origine, l’Etat intervenait fortement dans le financement, notamment celui des postes de directeurs, et prenait en charge la construction des bâtiments. Jusque dans les années 1990-2000, les structures étaient à peu près certaines de retrouver le même budget l’année suivante. « Aujourd’hui, les pouvoirs publics proposent soit du financement par projet avec des critères précis à cocher ; soit ils publient des appels d’offres, qui offrent un budget sur un temps délimité, avec le risque de devoir arrêter le projet associatif et éventuellement de licencier le personnel », explique Laurent Besse.
Une MJC sur deux déficitaire en 2022
Leur budget provient désormais, en moyenne, à 52 % de subventions publiques. Fin 2022, une MJC sur deux était en déficit. A Sedan, le financement municipal a baissé de 10 % en 2023. Les saisons se bouclent au prix de sacrifices. Le conseil d’administration de l’association a supprimé un spectacle de sa programmation pour s’éviter les frais artistiques et de réception des artistes.
Malgré tout, les structures continuent de chercher à se diversifier pour faire se croiser des publics divers. A la rentrée, la MJC Calonne accueillera ainsi des cours de coréen, qui s’ajouteront à ceux de bande dessinée, de théâtre, de break/hip-hop, de scrabble ou encore de qi gong. Après avoir suivi un cours d’informatique, Annick, retraitée de 72 ans, a démarré l’atelier de céramique il y a trois ans. A 16 ans, elle venait déjà dans cette MJC assister aux concerts de ses « copains qui reprenaient Otis Redding ». Ses enfants sont venus y voir des spectacles avec l’école. Puis ses petits-enfants.
En 2022, même si 50 % des 400 000 adhérents qui fréquentent les mille MJC de France ont moins de 26 ans, il semble devenu plus compliqué d’attirer les jeunes. A Chaource (Aube), la MJC s’est installée, il y a plus de cinquante ans, sur la place des Arcades, au cœur de ce village rural. A l’époque, « les garçons et les filles étaient séparés à l’école communale », rappelle Joëlle Culot, adhérente de la MJC depuis sa création. La structure est une aubaine pour les jeunes du coin qui vont enfin avoir un lieu où se réunir librement. « On organisait des bals, des repas dansants… On aimait ça avec mon mari, parce qu’on était de bons danseurs ! Mais ça ne se fait plus maintenant », se souvient-elle.