Le président de la République a assuré la survie du secteur durant l’épidémie de Covid-19. Il a injecté des crédits massifs sans pour autant révolutionner la politique culturelle.
Ce n’était pas prévu à son programme, mais cela restera comme l’un des faits d’armes de son quinquennat. Pour préserver le monde de la culture des conséquences du Covid-19, Emmanuel Macron a mis près de 15 milliards d’euros sur la table. Un chiffre affolant, plus de trois fois supérieur au budget annuel du ministère de la culture, mais qui a permis de maintenir les professionnels la tête hors de l’eau. « Le virus nous a obligés, comme la grande majorité des pays, à fermer les lieux culturels durant plusieurs mois. Ce n’était pas de gaieté de cœur. Mais ce qui restera, c’est qu’on a tout fait pour protéger le secteur et l’aider à se relever », veut-on croire à l’Elysée.
De fait, le gouvernement n’a pas lésiné sur les moyens durant les deux ans de crise sanitaire. « Année blanche » de dix-huit mois pour les intermittents du spectacle (1,3 milliard d’euros), aides sectorielles au cinéma ou à la musique (1,7 milliard), chômage partiel pour les salariés (1,3 milliard), prêts garantis par l’Etat pour les entreprises (4,2 milliards), plan de relance (2 milliards)… « Tout sera mis en œuvre pour protéger (…), quoi qu’il en coûte », avait promis le chef de l’Etat, le 12 mars 2020, lors de sa première allocution télévisée consacrée au Covid-19. Et ce n’est pas fini : plusieurs dispositifs ont été maintenus pour accompagner le secteur.
« Pas de casse sociale »
Bien sûr, les professionnels furent parfois véhéments durant la crise, notamment pour dénoncer le classement « non essentiel » de leur secteur. « Cette expression a été mal comprise, car mal expliquée », reconnaît le député (LRM, Bas-Rhin) Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Mais ils sont nombreux à admettre l’effort consenti par l’exécutif. « L’Etat a été au rendez-vous des indemnisations. Il n’y a eu de casse sociale ni chez les artistes ni dans les entreprises », concède Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). « On a été fermé trois cents jours en deux ans, cela a été douloureux. Mais, au bout du compte, le gouvernement a assuré la survie des lieux », abonde Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français.
« L’engagement de l’Etat dans le soutien au secteur a été exemplaire, juge également Nicolas Dubourg, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. En Europe, la France a été enviée, saluée. » La crise sanitaire aura notamment eu le mérite de démontrer l’importance du régime d’assurance-chômage de l’intermittence du spectacle pour préserver le secteur culturel. Un signe ne trompe d’ailleurs pas : plus aucun candidat à l’élection présidentielle de 2022 ne réclame la suppression de ce régime longtemps décrié, notamment à droite.
La prodigalité du gouvernement est d’autant plus notable qu’elle est intervenue alors que les crédits alloués à la culture ont eux-mêmes connu une progression inédite durant le quinquennat. Malmené sous François Hollande, le budget du ministère (hors audiovisuel public) a progressé chaque année durant le mandat d’Emmanuel Macron et a, pour la première fois, dépassé 4 milliards d’euros en 2022. « Au total, le ministère aura accru son budget de 15 % depuis 2017, ce qui représente 507 millions d’euros de plus », se félicite l’entourage de la ministre de la culture, Roselyne Bachelot. Seuls les ministères de la justice (+ 30 %), de la transition écologique (+ 20 %) et de l’intérieur (+ 18 %) ont obtenu davantage.
Le chantier du Pass culture
Côté réalisations, le programme de 2017 du candidat Macron n’avait rien de révolutionnaire : comme tous ses prédécesseurs, depuis André Malraux, il y vantait une nécessaire « démocratisation culturelle » et la lutte contre les « déserts culturels ». Certaines de ses propositions ont néanmoins fait « turbuler » le système. Le Pass culture fut le plus emblématique. Présenté en janvier 2017, ce chèque de 500 euros offert à tous les jeunes de 18 ans pour accéder aux activités et aux pratiques culturelles de leur choix, par le biais d’une application géolocalisée, est devenu « le chantier culturel prioritaire du quinquennat ».
Après trois années d’expérimentation, le dispositif, géré par une « start-up d’Etat » qui emploie 92 personnes, a été généralisé en mai 2021. Plus de 1 million de jeunes l’utilisent et 11 000 professionnels (librairies, salles de spectacle, musées, plates-formes de streaming, etc.) y sont référencés. Dans le trio de tête des dépenses, une large majorité de livres (surtout des mangas), suivis, loin derrière, par les tickets de cinéma et l’achat d’instruments de musique.
Si, quantitativement, les objectifs sont atteints, qualitativement, ce dispositif censé « diversifier les pratiques culturelles des jeunes » n’a pas tenu ses promesses, et le concept initialement imaginé a largement été amendé. En faisant le pari de privilégier la demande plutôt que l’offre, le chef de l’Etat a renversé la logique qui prévalait jusqu’alors dans les politiques culturelles. Mais force est de constater que ce n’est pas à 18 ans qu’on s’éveille d’un coup à la culture si une médiation n’a pas été développée en amont. Et puis, est-ce à l’Etat de financer des abonnements à des entreprises privées, telles que Deezer ou Canal+ ?
La méfiance et les critiques émises par les professionnels du secteur culturel – jugeant ce dispositif comme un « simple chèque consumériste » qui ne réglerait rien à la fracture culturelle – ont finalement été, en partie, prises en compte. « Le Pass culture a évolué parce qu’il s’est confronté au réel », résume Nicolas Dubourg. L’enveloppe de 500 euros prévue à l’origine est désormais partagée en deux étapes. De la classe de 4e à celle de terminale, les collégiens et les lycéens bénéficient de 200 euros (dont une large partie « collective », gérée dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle), puis, à 18 ans, de 300 euros à utiliser suivant leurs goûts.
De même, le financement a été totalement revu. Alors que le président sortant avait, au départ, prévu un budget assuré à 80 % par le secteur privé (notamment grâce aux banques et aux Gafam) et à 20 % par l’Etat, le Pass culture est aujourd’hui financé très majoritairement par des fonds publics : sur les 254 millions d’euros du budget 2022 du dispositif, 199 millions sont apportés par le ministère de la culture et 45 millions par celui de l’éducation nationale. Seulement 10 millions d’euros proviennent d’offres négociées avec des opérateurs privés. Malgré son coût, Emmanuel Macron compte élargir le dispositif dès la classe de 6e s’il est réélu et en faire un outil de l’éducation artistique et culturelle (EAC), mot-valise de tous les discours sur la démocratisation culturelle. Pour l’heure, seulement 70 % des élèves bénéficient de l’EAC, alors que M. Macron s’était engagé à ce que la totalité des enfants y aient accès à l’issue de son mandat.
Le patrimoine, un « sujet central »
Autre priorité affichée, le patrimoine a connu un sérieux coup de pouce financier. Dès septembre 2017, Emmanuel Macron a créé la Mission patrimoine et confié sa présidence à l’animateur Stéphane Bern. En un peu plus de quatre ans, l’organisme a mobilisé 181 millions d’euros, ce qui a permis de financer la restauration de 627 monuments sur les 4 600 sites en péril signalés. Une partie des fonds (100 millions d’euros) a été apportée par la Française des jeux, grâce à la création en 2018 de jeux de grattage et de tirages spéciaux du Loto consacrés au patrimoine. L’Etat a, de son côté, mobilisé 614 millions d’euros du plan de relance pour les monuments historiques, dont 80 millions pour les seules cathédrales.
« Le patrimoine est redevenu un sujet central, se réjouit Stéphane Bern. Emmanuel Macron n’a pas le complexe des personnes plus âgées. Il aime vraiment les monuments, il pense que c’est un vecteur d’identité, que cela raconte notre histoire. » Détail révélateur, le chef de l’Etat n’a pas lancé de grand chantier pour marquer son mandat, comme François Mitterrand avec la Pyramide du Louvre ou Jacques Chirac avec le Musée du quai Branly. « Il a préféré restaurer le château en ruine de Villers-Cotterêts [Aisne], où François Ier a signé l’ordonnance faisant du français notre langue nationale. Cela en dit beaucoup sur lui », assure M. Bern. Lancé en 2020, ce chantier de 185 millions d’euros doit se terminer cet automne.
La restitution d’œuvres d’art spoliées aux anciennes colonies françaises restera aussi comme l’un des marqueurs du quinquennat. En novembre 2021, le Musée du quai Branly a rendu au Bénin 26 œuvres issues des trésors royaux d’Abomey, volés au XIXe siècle. « Cette restitution, votée à l’unanimité par le Parlement, constitue un tournant dans la façon dont la France pose son regard sur sa propre histoire », affirme Bruno Studer. En février, le Parlement a également adopté une loi permettant la restitution des œuvres spoliées par les nazis et acquises dans des conditions troubles par les musées français.
« Enfourcher le tigre »
Chantier sur lequel M. Macron était attendu, la protection des créateurs face aux géants du numérique a connu de réelles avancées. La directive européenne sur les « services de médias audiovisuels à la demande » a été transposée, en 2021, dans le droit français et va obliger les plates-formes de streaming à investir 20 % de leur chiffre d’affaires dans la création – le chiffre de 200 millions à 250 millions d’euros par an est avancé. Un accord signé à l’automne 2021 leur impose également des clauses types dans les contrats, pour protéger les auteurs. « Ce dispositif restera l’un des gros acquis du quinquennat. On a sauvegardé la création à la française », salue Pascal Rogard, de la SACD.
Du côté des structures, la création, en 2020, du Centre national de la musique, voulu par Franck Riester, restera comme un point positif, tout comme la multiplication à travers la France des Micro-Folies, musées numériques de proximité – il en existe aujourd’hui 225.
Le bilan est plus mitigé en ce qui concerne les bibliothèques. Pour donner le « goût de la culture », Emmanuel Macron s’était engagé, en 2017, à « ouvrir les bibliothèques le soir et le week-end ». L’académicien Erik Orsenna fut missionné « ambassadeur de la lecture ». Quatre ans plus tard, moins de 10 % des établissements (près de 750 sur les 7 700 répertoriés) ont étendu leurs horaires. « L’Etat a joué son rôle, en donnant une impulsion politique et en mettant des moyens financiers. Mais ce sont les communes qui mettent en œuvre cette politique et fixent les horaires », défend Aurore Bergé, députée (LRM) des Yvelines et membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale.
Des professionnels regrettent par ailleurs la lenteur avec laquelle le chef de l’Etat a tranché sur les nominations à la tête des institutions culturelles, même si la parité a progressé. A plusieurs reprises, M. Macron a retoqué les propositions faites par le ministère de la culture et a laissé des postes vacants, comme ce fut le cas durant dix-huit mois à la Villa Médicis, finalement confiée à Sam Stourdzé. Dernier exemple en date, le mandat de Catherine Pégard à la tête du château de Versailles a officiellement pris fin il y a un an, mais l’ex-journaliste est toujours en poste. « Le président cherche encore le profil idoine », souffle un proche.
Le casting fut également compliqué pour...
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