Les organisations professionnelles du spectacle vivant appellent jeudi 13 juin à une mobilisation générale pour sauver la culture. Au même moment, plusieurs départements opèrent sans préavis des coupes claires dans leur budget.
Le Festival d’Avignon s’ouvre dans trois semaines. La mobilisation générale pour sauver le service public du spectacle vivant, cette semaine. Un front uni composé d’organisations patronales et syndicales de tout le secteur lance jeudi 13 juin une journée nationale de rassemblement qui sera précédée et suivie d’assemblées générales un peu partout dans l’Hexagone (Lille, Nantes, Villeurbanne…). Objectifs : protester contre les coupes budgétaires imposées à la culture par le gouvernement et de plus en plus de collectivités locales qui appauvrissent dangereusement la création et la diversité artistiques, et alerter sur l’effondrement qui vient. Car si l’année 2024 s’avère déjà difficile, 2025 s’annonce pire, la plupart des lieux de création ayant définitivement épuisé les réserves financières qu’ils avaient mises de côté durant la pandémie.
Dans ce contexte de raréfaction de l’argent public couplée à une inflation qui a lourdement pesé sur les charges, plus d’une compagnie sur cinq risque de disparaître, et des établissements culturels installés d’être plus encore contraints de réduire le nombre de leurs créations et de leurs levers de rideau, avec des conséquences inéluctables sur l’emploi artistique. C’est tout un écosystème qui s’épuise et doit se réinventer. Il ne pourra le faire que si tout le monde se met autour de la table, et c’est justement ce à quoi appellent les professionnels du secteur en demandant à l’État et aux collectivités locales l’ouverture d’un débat « pour refinancer et préserver le service public du spectacle vivant ». Une concertation forcément inflammable, car l’argent manque et le système de financement croisé de la culture associant l’État et les collectivités locales se grippe. Un des maillons de la chaîne, les départements, est même en train de montrer d’inquiétants signaux de faiblesse, comme le montre notre enquête à partir d’exemples pris partout en France. Une mauvaise nouvelle, car le désengagement de la culture par quelques départements pourrait provoquer un effet boule de neige sur les autres, voire s’étendre ensuite à d’autres collectivités (villes, métropoles, intercommunalités, régions).
Petites coupes entre ennemis
En quelques semaines, cinq départements (Haute-Garonne, Val-de-Marne, Nord, Hérault, Alpes-Maritimes) ont baissé sans préavis ni concertation leurs subventions à des institutions culturelles de leur territoire. Du jamais-vu. Ces coupes, souvent importantes, sont partout synonymes d’annulations de spectacles, de fermetures partielles d’établissements ou de suppressions de postes de médiateurs culturels. Entre autres.
La cascade de mauvaises nouvelles a commencé en mars dans les Alpes-Maritimes avec une lettre de Charles Ange Ginésy à la direction du Théâtre national de Nice dirigé par Muriel Mayette-Holtz. Dans ce courrier, le président du conseil départemental se félicite d’accompagner l’établissement culturel pour une nouvelle saison à hauteur de 500 000 euros. Problème : depuis six ans, la subvention était de 600 000 euros. Aucune explication à cette baisse. Le théâtre est en bonne santé, son public lui est fidèle, et il remplit toutes les missions de service public normalement dévolues à un centre dramatique national. Alors chacun s’interroge. Ferait-il les frais de la détestation politique que se vouent le maire de Nice, Christian Estrosi, et l’ancien patron tout-puissant du département, Éric Ciotti ? Comme un mauvais remake d’un scénario déjà joué en Auvergne-Rhône-Alpes où l’animosité politique de Laurent Wauquiez (LR) à l’égard du maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, a coûté cher à plusieurs établissements culturels de la ville. « On espère vraiment ne pas être au milieu du feu, confie la directrice adjointe du Théâtre de Nice, Ella Perrier, mais on a toujours un doute. » En attendant, la perte de 100 000 euros n’est pas sans conséquence. « Nous sommes obligés de réduire la voilure sur la programmation du dernier trimestre et de restreindre certaines activités gratuites proposées par le théâtre au public ou aux scolaires. » En espérant que la baisse ne sera pas reconduite en 2025.
Dans le Val-de-Marne, c’est la même scène qui se joue début avril à la Maison des arts de Créteil (MAC). Circonstances aggravantes, la coupe est plus sévère encore (150 000 euros) et, surtout, elle intervient tard. Trop tard même, car le théâtre vient tout juste de finaliser sa programmation 2024-2025. Du coup, l’incompréhension le dispute à la colère. « Le traitement et le timing que le département a infligés à la MAC dénotent le mépris que la nouvelle équipe de direction du département porte à la culture, cingle José Montalvo. Cette saignée incompréhensible va se traduire par une réduction du soutien alloué aux artistes et une injuste pénalisation de la population du Val-de-Marne qui représente 80 % de notre public », s’agace le directeur. Dans les faits, les conséquences seront particulièrement visibles : la scène nationale repousse l’ouverture de sa prochaine saison à novembre, supprimant ainsi près de deux mois de programmation et neuf spectacles, parmi lesquels Les Messagères, de Jean Bellorini, ou Fêu, de Fouad Boussouf.
Deux semaines plus tard, c’est au tour du Théâtre de la Cité, à Toulouse, d’apprendre que le conseil départemental ampute sa subvention de 80 %. Une coupe de 190 000 euros que rien ne laissait présager et alors même que le mandat de Galin Stoev, codirecteur de ce centre dramatique national, venait d’être renouvelé jusqu’en 2027. Dans la ville rose comme à Créteil, l’ampleur de la baisse et son caractère tardif suscitent une colère qui ne tarit pas. « Je comprends bien l’environnement budgétaire dans lequel chacun évolue et je ne suis pas en train de réclamer plus d’argent pour la culture mais cette annonce, en plein exercice, c’est du sabotage, assène le codirecteur du théâtre, Stéphane Gil. J’espérais qu’une collectivité aussi ancienne, et qui revendique autant ses valeurs de laïcité, de démocratie et de vivre-ensemble, nous soutiendrait. Et au moment où il aurait fallu faire collectif et trouver des réponses partagées, équitables et anticipées, elle use de pratiques injustifiables, arbitraires et violentes. » Une exaspération compréhensible car, ici aussi, les mêmes causes produisent les mêmes effets : réduction de l’activité artistique, baisse de l’emploi, suppression d’initiatives en faveur des publics les plus éloignés du théâtre et… augmentation des tarifs de 2 euros en moyenne. Avec la crainte que cette suppression soit le prélude à un désengagement complet du département pour les années à venir.
La culture en milieu rural trinque
Dans le Nord et l’Hérault, c’est l’accès à la culture dans les zones rurales et vers les publics fragilisés qui risque de pâtir des lourdes restrictions budgétaires décidées par ces départements. Un comble quand on sait que la ministre de la Culture, Rachida Dati, a érigé ces sujets en priorités, et qu’on attend les résultats de la concertation lancée avec son « Printemps de la ruralité », censé justement promouvoir et renforcer l’offre culturelle en milieu rural. Dans l’Hérault, cela semble mal parti. Le conseil départemental a annoncé la fermeture, à partir du 1ᵉʳ octobre, du dispositif Hérault Matériel Scénique (HMS) qui permet le prêt de matériel technique et scénique (lumière, scène, sonorisation…) aux petites structures du département. Raison invoquée : ces prêts seraient illégaux au regard du Code général de la propriété des personnes publiques qui interdit « la mise à disposition ou la location de matériels à titre gratuit ou à un prix inférieur à la valeur locative ».
Un argument que la collectivité locale a curieusement mis deux décennies à découvrir et qui ne semble convaincre qu’elle-même. « Ces prêts ne sont pas gratuits, ils sont budgétisés et font l’objet de conventions. Il s’agit du service public de la culture », déplore Claire Engel, du Syndicat national des arts vivants, dans le quotidien Midi libre. « On est sur de la subvention en nature. La supprimer, ça veut dire quoi ? s’interroge le directeur du Théâtre la Vignette, à Montpellier, également président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. Que demain on va subventionner les petites structures locales pour qu’elles louent leur matériel dans le privé et fassent exploser le coût de leurs spectacles, lesquels ne pourront plus être joués dans les salles municipales des petites communes rurales ou dans le périurbain ? C’est absurde. » La colère des acteurs locaux est d’autant plus grande que ce dispositif qui coûte 1,7 million d’euros au conseil départemental, selon sa vice-présidente en charge de la culture Marie-Pierre Pons (interviewée par Midi Libre), rencontre un franc succès. En 2022, 350 acteurs culturels en ont bénéficié pour des spectacles rassemblant plus de 400 000 spectateurs. En conséquence, partout dans le département, la mobilisation s’organise : interpellations d’élus, témoignages d’acteurs culturels faisant part de leur désarroi sur les réseaux sociaux, pétition déjà signée par plus de 4 000 acteurs de la vie culturelle locale. En espérant que le conseil départemental revienne sur sa décision ou, a minima, trouve une sortie par le haut, en concertation avec d’autres collectivités locales.
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