A l’initiative de la Société des réalisateurs de films, plus de 150 cinéastes de la nouvelle génération, parmi lesquels Julia Ducournau, Palme d’or au dernier Festival de Cannes, et Audrey Diwan, Lion d’or à la Mostra de Venise en septembre, alertent sur l’émiettement annoncé des droits de diffusion de leurs œuvres.
Tribune. Nous sommes jeunes cinéastes, nous avons réalisé un ou deux longs-métrages, et nous souhaitons nous adresser à celles et ceux qui entendent bâtir le monde de demain. Nous vous écrivons parce qu’un modèle vertueux pour les auteurs et pour la création est en train d’être démembré. Et que personne ne semble en prendre la mesure.
Ces trente dernières années, les droits reversés aux cinéastes par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en contrepartie d’une diffusion télévisuelle de leurs œuvres ont permis à chaque auteur diffusé de vivre entre deux films et d’initier de nouvelles écritures.
La fabrication d’un film de cinéma nous réclame environ quatre années d’ouvrage. Néanmoins, l’écriture d’un scénario ne donne lieu à aucun salaire, seulement à une avance de droits. Les droits d’exploitation sont donc notre seule rémunération. Un préachat sur Canal+ assure des droits d’auteur minimaux permettant de vivre pendant dix-huit mois aux conditions du smic. Un film qui passe pour la première fois sur France 2 ou France 3 donne lieu à des droits d’auteur permettant de vivre entre dix et treize mois au smic.
Sur une plate-forme de vidéo à la demande sur abonnement, il n’y a actuellement aucune assurance de montant, tout y est mouvant, car la quantité d’œuvres proposées et le nombre de vues changent sans cesse. Mais on estime, par exemple, qu’un préachat sur Netflix assurerait une part fixe minimum permettant de vivre entre trois jours et deux semaines au smic.
Un film de cinéma en première diffusion sur Netflix après une sortie en salle, qui cumulerait un demi-million de vues françaises, permettrait, selon le contexte, de vivre quatre mois au smic. Le même film passant sur Netflix après avoir été diffusé sur une autre chaîne, pour le même nombre de vues, permettrait de vivre environ un mois et demi au smic.
Cet émiettement est le résultat d’une offre pléthorique d’œuvres auxquelles est appliqué un principe de rémunération ancien calculé au prorata. Ainsi, plus il y a d’œuvres proposées sur la plate-forme… plus la rémunération baisse pour chaque auteur.
Catastrophe annoncée
L’ubérisation de la majorité des cinéastes de fiction et de documentaire est en marche, signant la fin d’un modèle protecteur pour les individus, leurs droits sociaux et leur juste rémunération.
Pourtant, les Françaises et les Français n’ont jamais autant payé chaque mois pour accéder à nos œuvres (tickets de cinéma, achats d’écrans et de tablettes, chaînes payantes, abonnements Internet, à des plates-formes ou à des services de visionnage et de vidéo à la demande…). Et les plates-formes ne se sont jamais aussi bien portées, la crise sanitaire ayant amplifié leur déploiement.
Comment allons-nous vivre demain entre deux films, quand l’ensemble du modèle – y compris les chaînes françaises traditionnelles – amorce sa mutation en services de streaming ?
C’est une catastrophe annoncée, d’autant plus sûre qu’elle a déjà eu lieu dans le monde de la musique – parce que rien n’avait été pensé pour les auteurs à l’arrivée du streaming. Pour le cinéma, il n’est pas encore trop tard, et il n’y a aucune fatalité à s’engouffrer dans ce travers.
André Malraux puis Jack Lang ont participé à la construction d’un système vertueux qui a fait rayonner la France : celui de l’exception culturelle, attachée à la défense des auteurs, de leur vision et de leurs droits. Mais malgré nos appels à l’aide, le Centre national du cinéma et de l’image animée, la direction générale des médias et des industries culturelles, la SACD et la ministre de la culture ne nous proposent à ce jour aucune solution concrète.
La chronologie des médias est suivie de près par tout le secteur, et nous pensons en effet que cet encadrement précis de la production et de la diffusion est essentiel – tant par la loi que par les accords interprofessionnels. Si la ministre est effectivement celle des artistes auteurs, alors elle doit proposer un encadrement législatif et transparent concernant nos droits de diffusion. La SACD est notre maison, nous sommes plus que jamais attachés à la gestion collective, mais nous constatons que notre Société des auteurs se retrouve bien seule aujourd’hui dans ses négociations face aux géants du streaming. Les tailles des structures sont inégales… et le rapport de force n’est pas ...
Lire la suite sur lemonde.fr