
L’annulation récente de deux expositions au Art Museum of the Americas, à Washington, fait craindre un mouvement de plus grande ampleur.
Souvenez-vous, c’était en 2016. Autant dire la préhistoire. Le président américain Barack Obama inaugurait en grande pompe à Washington le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines. « L’histoire américaine est profondément africaine-américaine, affirme alors son conservateur Paul Gardullo, au New York Times. Vous ne pouvez pas comprendre l’Amérique sans l’Amérique noire. » En 2020, l’onde de choc du mouvement Black Lives Matter, à la suite du meurtre de George Floyd, provoque un séisme dans les musées américains, qui, conscients de leur faible diversité, multiplient alors les expositions autour de grandes figures noires.
Cinq ans plus tard, changement de régime. L’Art Museum of the Americas, un établissement situé à un jet de pierre de la Maison Blanche, vient d’annuler deux expositions prévues au printemps, l’une mettant en vedette des artistes afro-américains, afro-latinos et caribéens, l’autre sur des artistes queer des Caraïbes. Selon le Washington Post et le site Hyperallergic qui ont rapporté les deux cas, le musée aurait pris cette décision pour se conformer aux ordres de l’administration Trump de supprimer les programmes diversité, équité et inclusion (DEI), instaurés sous Joe Biden.
Ce coup-là, Cheryl D. Evans, commissaire de l’exposition Before the Americas, ne l’avait pas vu venir. « Le propos ne portait pas sur les questions de DEI », précise-t-elle au Monde, rappelant que l’accrochage réunissait les artistes de 17 pays autour de la question de la mémoire des ancêtres. Parmi eux, quelques grands noms comme le peintre cubain Wifredo Lam ou Martin Puryear, qui a représenté les Etats-Unis en 2019 à la Biennale de Venise. « Quand le financement m’a été accordé l’an dernier, j’ai supposé qu’il n’y aurait aucun problème », poursuit Cheryl D. Evans.
L’« ère de la famine » culturelle
Pour compléter la manne publique de 22 000 dollars (20 300 euros), elle avait d’ailleurs commencé à lever des fonds auprès des privés. Jusqu’à ce qu’elle reçoive le 30 janvier un e-mail d’Adriana Ospina, directrice du musée, lui enjoignant de stopper la réalisation du catalogue, « en raison des directives de [leur] service financier ». Le couperet est finalement tombé le 6 février, moins de deux mois avant la tenue de l’exposition.
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