Pauline Peyrade est écrivaine, metteuse en scène et, depuis 2019, co-
Comment êtes-vous venue au théâtre ?
Après le bac, j’ai fait une prépa littéraire et, au programme du concours de l’école normale supérieure, il y avait Jean Genet… Je ne connaissais quasiment rien au théâtre. Et Genet, cela a été un sacré choc. Ensuite, quelques années plus tard, je suis allée à la Mousson d’été, à Pont-à-Mousson. C’est là que j’ai véritablement découvert les écritures théâtrales.
Vous avez été diplômée de la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, puis de l’Ensatt en 2015. C’était il y a peu. Comment vos textes ont-il commencé à circuler ?
L’une de vos pièces, 0615, a été créée sur France Culture. Cela reste un peu un mystère. Je l’ai écrite en 2011, elle a circulé au sein de comités de lectures. J’ai dû l’envoyer au TNS, au CNT, à Théâtre Ouvert, je ne me souviens pas… Je crois que c’est par le biais de lecteurs, du TNS que cela a fini par arriver à France Culture. Elle n’a pas été retenue pour des lectures mais le comité de lecture m’avait fait un premier retour d’encouragement. Et, trois ans plus tard, je reçois un appel de France Culture…
Vous avez pu créer, au Festival d’Avignon, un “Sujet à vif” avec la circassienne Justine Berthillot. Une étape importante pour vous ?
Je ne connaissais pas du tout le cirque contemporain et je n’aurais jamais pensé à collaborer avec une artiste de cirque. J’étais en troisième année à l’Ensatt et je suis allée voir un duo de Justine. J’ai compris tout de suite en fait. Dans son tranchant, dans le travail de l’état limite, dans la brutalité… J’ai compris. Très vite, nous avons eu envie de mener ce Sujet à vif jusqu’au bout, vers une création. Puis, nous avons décidé de fonder la compagnie.
Est-ce compliqué d’être un jeune auteur aujourd’hui ?
C’est un choix et l’on ne s’y s’engage pas à la légère. Ensuite, il y a différentes situations. Mais de plus en plus de jeunes auteurs et autrices ont leur compagnie.
Parce que c’est quasiment le seul moyen de vivre de son métier ?
D’accéder au plateau, en tout cas. Et, donc, d’en vivre, oui. Les comités de lecture, c’est génial, mais le vrai défi est d’arriver à être monté. Et ça, c’est rare. C’est si rare que les auteurs et les autrices s’emparent de ce moyen de production.
Les commandes sont-elles si peu nombreuses ?
Je suis toujours un peu surprise par un commentaire du type : « J’ai beaucoup aimé ces textes, j’aimerais te commander une pièce sur ça. » Mais, si l’idée de départ est précise, personnelle, pourquoi ne pas l’écrire soi-même ? Les commandes les plus intelligentes sont plus des invitations à collaborer. On me dit alors : « Je m’intéresserais à ton prochain texte, tu travailles sur quoi ? » Ensuite, c’est mieux lorsque ces commandes s’accompagnent d’une rémunération.
Être autrice associée, comme vous l’êtes au Théâtre des îlets-CDN de Montluçon ou au Quinconces au Mans, cela vous permet d’avoir une rémunération ?
Oui, mais c’est pas forcément une rémunération d’écriture. Ce qui est très compliqué pour un jeune auteur, c’est qu’il n’y a pas de grille de rémunération pour lui… On est un peu livré à soi-même, condamné à négocier ses tarifs… Tout dépend du budget de production, de la structure… L’écriture d’un texte demande beaucoup d’investissement, de recherche. écrire un texte, c’est un an et demi de travail, parfois deux. Cela demande de la disponibilité d’esprit. Or, le contexte contraint un auteur à courir dans tous les sens.
Et comment aborde-t-on la question du droit d’auteur dans une production ?
Elle est de plus en plus épineuse car la dénomination « auteur » renvoie désormais à tous les métiers créatifs : les créateurs lumière, les metteurs en scène… Les droits d’auteur de texte ont été pensés comme un moyen d’existence parce que l’auteur n’est pas intermittent. Ils permettent de dégager du temps pour écrire. Si on les lui enlève, on lui enlève son moyen de travail. Je n’ai rien contre les auteurs de plateau – que ce soit en lumière, en son –, mais l’auteur de textes, n’est pas un intermittent.
Ces droits vous sont-ils contestés ?
Ce qui me gêne, c’est quand, d’un seul coup, sur un principe égalitaire, tout le monde se retrouve à avoir un petit pourcentage de droits, y compris l’auteur. Et s’il proteste, on lui dit alors : « Oui, mais tu ne reconnais pas les autres écritures ». D’accord, mais je fais comment pour vivre ensuite ?
Votre compagnie vous passe donc des commandes en tant qu’autrice ?
Je ne transforme pas mes commandes en cachets. Je m’y refuse. Je suis autrice, pas intermittente. Dans vos pièces, à plusieurs reprises ce sont des portraits de femmes, en tout cas des personnages féminins très forts.
Cela vous interroge-t-il dans votre pratique professionnelle ?
Je distingue vraiment l’écriture de l’engagement dans la vie. Mais les droits des femmes, oui, c’est un combat quotidien, constant… C’est prendre la parole dans les débats quand il le faut, c’est arriver à contredire ou se défendre sur certains a priori dans les rendez-vous professionnels. C’est ne pas se décourager quand on entend : « Ici, les spectacles de femmes, vous comprenez… » Cela va du propos clairement misogyne décomplexé à la maladresse qui trahit… Avec la compagnie, qui est portée par deux femmes, sur un spectacle qui parle du viol conjugal, nous n’avons été coproduites que par des femmes.
Est-ce vraiment ce que vous ressentez au quotidien ?
Il y a un autre constat à faire : à l’Ensatt, il y a une très grande majorité d’étudiantes en écriture, simplement parce qu’il y a moins d’argent en jeu. L’écriture n’est pas un endroit de pouvoir, donc on laisse cela aux femmes.
Comment imaginez-vous votre avenir justement ?
Une nouvelle aventure m’attend puisque je vais prendre la suite d’Enzo Corman avec Samuel Gallet à l’Ensatt à la coresponsabilité du département écriture. Et puis, je vais continuer à écrire, tout simplement. Notre souhait, c’est de rapprocher les écrivains du plateau, de faire plus de liens avec les autres départements… L’enjeu est à la fois d’arriver à éprouver cette réalité du travail tout en préservant – il s’agit de faire vraiment – l’espace de la recherche… La recherche de l’écriture, l’endroit de la radicalisation du geste, l’endroit de l’échec, du raté.
Propos recueillis par Cyrille Planson
Interview publiée dans La Scène Artistes Juin 2019
Lire la suite sur lascene.com